Souvent délaissées par les médias, les campagnes françaises font état d’une réalité douloureuse, probablement éloignée des croyances populaires. Également fortement marquées par la crise économique, elles connaissent les mêmes enjeux de société que les villes, sans nécessairement recevoir l’attention nécessaire pour y faire face.
A cet égard, la toxicomanie a progressé sans qu’aucune véritable politique de santé publique n’ait été mise en place pour enrayer cette tendance.
Les « oubliés de nos campagnes »
Les clichés de l’exposition « Oubliés de nos campagnes », qui s’est tenue quai de Valmy à Paris jusqu’au 1er décembre dernier, sont saisissants. Les sujets habitent la France rurale, éloignée des grandes villes, des emplois, et deux yeux du monde.
Précaires, démunis, abîmés, alcooliques, drogués, chômeurs, laissés pour compte: les qualificatifs ne manquent pas pour décrire leur vie et peuvent même se cumuler les uns aux autres. Sans ressource, sans espoir, désœuvrés, ils sont nombreux à sombrer dans les dépendances pour oublier leur quotidien.
Isabelle, 52 ans, mère de trois enfants, est alcoolique depuis qu’elle a 17 ans, multiplie les tentatives de suicide, et se coupe peu à peu des fils et de sa fille dont elle ne parvient pas à s’occuper correctement. Matthieu, 27 ans, couvreur de formation, est toxicomane depuis 10 ans.
Au chômage depuis que son addiction a été découverte par son patron, il a dû revenir vivre chez sa mère et sa sœur, hospitalisée pour des problèmes de diabète. S’il suit un traitement à la méthadone, il confesse des rechutes régulières et une consommation excessive d’alcool.
Et enfin Jennifer, 27 ans, enfant de l’assistance publique, toxicomane repentie, mère de trois enfants – un temps placés en foyer d’accueil – elle est incapable de travailler en raison de son passé de droguée et elle devra suivre un traitement à la méthadone probablement à vie.
Les campagnes la marge des mesures antidrogues
Ces trois portraits, que Mediapart a choisi pour présenter l’exposition, ne sont pas des cas isolés. Au contraire, ils sont symptomatiques d’un phénomène nouveau et en pleine progression: la montée de la consommation de drogues en milieu rural. Les saisies de drogues, cannabis, héroïne ou encore ecstasy ont en effet explosé ces dernières années. En 2008, elles ont atteint la somme de 6 millions d’euros, soit 6 fois plus que l’année précédente.
Du propre aveu de la Mildt (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies), cette évolution est « préoccupante ». « L’une des difficultés, c’est que les dispositifs de prévention sont largement concentrés dans les centres urbains », explique Étienne Apaire, alors président de la Mildt.
Seulement depuis 5 ans, la situation ne s’est pas améliorée. Le nombre de toxicomanes vivant à la campagne n’a pas diminué, tandis que leur accompagnement demeure extrêmement limité. Dans un département assez rural comme le Loiret, la politique de lutte contre la drogue se résume souvent au passage, aussi fréquent que possible, d’un camping-car dans les différents villages.
A l’intérieur : un matelas pour les consultations, des toilettes pour le dépistage et du matériel d’injection gratuit. Un équipement pour le moins sommaire afin de venir en aide à des centaines de toxicomanes isolés qui n’ont le plus souvent pas les moyens de se déplacer.
Une politique inconstante et inadaptée aux enjeux
De plus, cet isolement géographique des toxicomanes vivant à la campagne est renforcé par un isolement social encore plus exacerbé qu’en ville. Les responsables politiques locaux sont en effet souvent réticents à l’idée de mettre en place des mesures pour leur venir en aide, par exemple l’installation de distributeurs de seringues.
Même dans des villes de taille moyenne comme Montargis, 15.000 habitants, il n’est pas rare de trouver des médecins ou des pharmaciens refusant de prescrire et de distribuer des traitements de substitution à l’héroïne.
La méfiance a la peau dure et se trouve alimentée par un manque de formation à la prise en charge de ces pathologies. Ne sachant comment traiter ces patients pouvant se montrer pressants, voire menaçants, les professionnels de santé sont susceptibles de faire de mauvais choix sous la pression, voire d’oublier leur code de déontologie, qui les oblige à venir en aide à toutes les personnes, quelles qu’elles soient.
Au risque de voir un phénomène déjà très préoccupant se renforcer, l’État va donc devoir modifier sa politique de lutte contre la dépendance aux drogues. Les inégalités de traitement suivant le lieu de résidence sont patentes, tandis que misère et désespoir ne feront que s’amplifier sans une action concrète, concertée et ambitieuse des pouvoirs publics.
Le clivage, partisan, entre prévention et répression n’a pas été résolu par le dernier plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives, présenté le 19 septembre dernier. Et les fonds alloués aux différents offices publics antidrogues sont en baisse constante depuis 5 ans.