Paul Jorion, chercheur en sciences sociales, explique comment «l’ordinatisation» des métiers va tuer – et tue déjà – l’emploi à petit feu.
Selon une étude réalisée par deux chercheurs de Harvard, 47% des emplois pourront être confiés à des ordinateurs d’ici 20 ans. Pis, il faudra trouver des moyens de «s’occuper», de passer le temps. Il y a quelques mois, David Graeber, cet anthropologue américain avait écrit une tribune sur des métiers «inutiles»…
En 1930 déjà, l’économiste anglais John Maynard Keynes prédisait – dans une fiction – qu’un siècle plus tard, on pourrait se contenter de travailler 15 heures par semaine, et que le principal problème résiderait dans la répartition du travail. Paul Jorion, chercheur en sciences sociales, partage ce point de vue. Il explique comment les humains perdent peu à peu le monopole du travail, et pourquoi ce phénomène va s’accentuer.
Que peut-on dire de ce chiffre? 47% des emplois peuvent-ils vraiment être remplacés par des ordinateurs en seulement 20 ans?
Paul Jorion – Disons que la manière dont il a été obtenu – essentiellement à partir de préjugés – est assez discutable. Mais en lui-même, il est exact… Il pourrait même être encore plus élevé, dans la mesure où les métiers concernés par cette mutation ne sont pas uniquement les métiers manuels, mais aussi les métiers dits «intelligents».
Mais l’homme a naturellement tendance à mettre son intelligence au dessus de tout, et aime à penser qu’il est irremplaçable! L’ordinatisation des métiers va à la fois toucher les métiers «simples» et «complexes», ce sont les métiers qui allient travail manuel et réflexion qui seront plus difficilement remplaçables.
Aujourd’hui, où en sommes-nous de cette «ordinatisation»?
Nous sommes évidemment à un stade avancé! Aux alentours de l’an 2000 s’est opéré un basculement où les machines ont effectivement pu être en mesure de mieux faire le travail que les hommes…. Et depuis, cela va très vite. Les ordinateurs s’imposent peu à peu, sans que nous ne nous en rendons forcément compte.
Dans 5 à 10 ans maximum, nous ne pourrons plus nier cette mutation, et la domination des machines. Pour le moment, nous ne voulons pas admettre que nous sommes remplaçables. Et plus notre métier est prestigieux, plus l’on gagne de l’argent, et plus l’on a l’impression d’être irremplaçable!
Avez-vous un exemple de métier pour illustrer cela?
Le métier de trader, par exemple! Pour l’assister dans ses tâches, le trader dispose de logiciels qui peuvent effectuer plus de 2000 opérations à la seconde… Il pourrait aussi faire ces opérations lui-même , mais beaucoup plus lentement. Aujourd’hui, le rôle du trader se limite donc à superviser ses machines, et ne comporte plus aucune part d’intuition, comme c’était le cas il y a quelques années…
Si nous sommes remplacés par des ordinateurs et des logiciels, qu’allons-nous faire du coup? Travailler moins? Arrêter de travailler?
Travailler moins. L’emploi et le travail sont voués à disparaître. Des questions essentielles se poseront alors: comment donner un revenu aux gens qui ne soit pas lié au travail? Comment occuper les gens? Au XIXe siècle déjà un philosophe émettait l’hypothèse suivante: si l’homme est un jour remplacé par une machine, alors il devrait avoir droit à la moitié des gains engendrés par la machine qui l’a remplacé. C’est un schéma auquel nous pouvons aujourd’hui penser.
L’humain a-t-il encore la moindre chance face à la machine?
La domination de la machine est impossible à éviter… Aujourd’hui, la seule chose qui manque aux logiciels et aux programmes informatiques est un facteur essentiel pour remplacer l’humain: il s’agit de l’émotion et de l’affect. Mais ce «manque» sera résolu dans 5 ans maximum.
(Merci à CS)