Par Peter Kuntze
La Chine a confiance en elle; elle ose des réformes et sa nouvelle direction veut consolider ses succès
Le contraste ne pourrait pas être beaucoup plus grand: d’un côté du Pacifique, la puissance qui est toujours l’Hégémon, est confrontée à de fortes turbulences économiques et politiques; de l’autre côté, la superpuissance en devenir bat tous les records sur le plan économique, en dépit des prophètes de malheur, et a pleine confiance en son avenir.
Ce n’est pas étonnant: trois décennies et demie après le lancement de la politique de réformes et d’ouverture voulue par Deng Xiaoping, le successeur de Mao Zedong, ce changement de cap révolutionnaire a donné ses fruits en bien des domaines. Le pauvre État paysan, avec ses millions de “fourmis bleues” est devenu un pays moderne aux immeubles de prestige rutilants et a développé une industrie de la mode qui se révèle désormais sur les “catwalks” de Paris et de Milan.
Hollywood aussi s’énerve car, de fait, l’industrie américaine du cinéma a toutes les raisons de craindre l’avènement d’un sérieux concurrent installé en Extrême-Orient. Pourquoi? Wang Jianlin, l’homme qui serait le plus riche de la République Populaire de Chine, est en train de faire construire à Tsingtau (l’ancienne base et colonie allemande) les plus grands studios cinématographiques du monde. Ce projet gigantesque coûterait plus de huit milliards de dollars et serait achevé en 2017.
On pourrait énumérer encore beaucoup de nouvelles de ce genre, qui confirmeraient le développement exponentiel de la Chine actuelle. Pourtant, lorsque la nouvelle direction chinoise a accédé au pouvoir en novembre 2012, les voix se multipliaient pour annoncer le déclin prochain de la Chine, comme ces mêmes voix, d’ailleurs, l’avaient fait pour les directions précédentes.
Comme le “New York Times” ou le “Spiegel”, les médias occidentaux étaient à l’unisson pour évoquer des scenarii catastrophiques: une bulle immobilière était sur le point d’éclater, qui aurait été suivie d’une bulle de crédit et, ensuite, le pays croulerait à cause de la corruption, tandis que la pollution le ravagerait et que le peuple ne tolèrerait plus les différences entre riches et pauvres.
L’aspiration générale à la liberté ferait tomber la direction communiste, si des réformes rapides et de vaste ampleur n’étaient pas traduites dans le réel et si cette direction ne renonçait pas à son monopole de pouvoir.
Rien de tout cela ne s’est produit depuis que Xi Jinping (chef de l’État et du Parti) et Li Keqiang (premier ministre) ont pris leurs fonctions en novembre 2012 pour les conserver pendant dix ans. On ne voit pas pourquoi le chaos politique et la débâcle économique frapperaient la Chine au cours de la décennie à venir, décennie au bout de laquelle la République Populaire, selon l’OCDE, rattraperait les États-Unis, en tant que principale puissance économique de la planète.
Le nouveau président de la Banque Mondiale, Jim Yong Kim, a prévu pour la Chine un développement positif à la mi-octobre: “La République Populaire croît de manière certes plus lente mais elle poursuit ses réformes. Le pays s’impose une gigantesque transformation: il passe du statut de pays exportateur et investisseur à une économie plus orientée vers la consommation. Sa direction envisage de s’en tenir à cette politique, en dépit des difficultés. C’est là un modèle pour d’autres”.
Deux nouvelles institutions contribueront à consolider la voie choisie par le gouvernement chinois: une première autorité, soumise au cabinet, a reçu, sur décision du Comité Central, la mission “d’éviter les conflits sociaux et de les résoudre de manière efficace”, afin de garantir la sécurité intérieure de l’État.
L’émergence de cette autorité vise, d’une part, à résoudre les problèmes qui se profilent derrière les nombreuses protestations et les manifestations parfois violentes qui se sont organisées dans le pays contre les excès de fonctionnaires locaux; d’autre part, à réagir contre d’autres dérapages comme l’attentat récent qui a frappé Pékin.
Fin octobre, devant la Porte de la Paix Céleste, trois Ouïghours avaient foncé avec leur voiture bourrée d’essence sur une foule et entraîné deux passants avec eux dans la mort. On ne peut pas affirmer avec certitude qu’il s’agit d’un acte terroriste de facture islamiste, comme l’affirme le gouvernement. Une chose est sûre cependant: au Tibet comme dans la province du Xinjiang, peuplée d’Ouïghours, les incidents se multiplient car les habitants de ces vastes régions se sentent menacés par l’immigration sans cesse croissante de Chinois Han.
La deuxième autorité, qui verra le jour, s’appelle le “Groupe Central de Direction”, et sera soumis au Comité Central du PC chinois. Il supervisera le processus des réformes en cours et à planifier et veillera à leur “approfondissement général”.
Avec ces décisions, que le Comité Central du PC chinois a prises au début de novembre 2013 après quatre jours de délibérations, Xi Jinping et son camarade de combat, l’élégant Li Keqiang, ont imposé leur politique face à la résistance des forces orthodoxes de gauche. En effet, le texte de la résolution parle du marché qui ne tiendra plus un rôle “fondamental” mais bien un rôle “décisif” dans la répartition des ressources. Tant la propriété étatique que la propriété privée sont désormais des composantes essentielles de “l’économie socialiste de marché”.
D’importantes réformes sociales ont également été décidées. Ainsi, la politique d’un enfant par couple sera assouplie afin de mettre un terme au processus de vieillissement démographique qui freine le développement économique. Jusqu’ici les couples résidant en zone urbaine ne pouvaient avoir un deuxième enfant que si les deux parents n’avaient ni frères ni sœurs. Dorénavant, les couples chinois des villes pourront avoir un deuxième enfant si un seul des parents n’a ni frère ni sœur.
On annonce également la suppression des camps de travail où, depuis 1957, les petits délinquants et les adversaires du régime pouvaient être “rééduqués” pour une période allant jusqu’à quatre années, sans décision d’un tribunal.
L’échec du projet de reconstruction chinois, qui serait dû à des désordres intérieurs et devrait survenir au cours de ces prochaines années, est une chimère de plus colportée par les médias occidentaux. Beaucoup de Chinois profitent désormais de la politique gouvernementale.
Tout visiteur étranger s’en aperçoit aisément en déambulant dans les rues des villes chinoises: ce ne sont plus que les seuls dirigeants politiques communistes qui circulent en automobile avec chauffeur. Aujourd’hui des millions de Chinois, fiers, sont au volant de leur voiture personnelle neuve de fabrication japonaise, américaine, allemande ou sud-coréenne.
De plus, plus de 90 millions de Chinois se sont rendus cette année à l’étranger. Ce ne sont pas seulement des amoureux du dépaysement mais des champions du “shopping” international. En 2012, les touristes chinois ont dépensé à l’étranger près de 102 milliards de dollars, plus que n’importe quelle autre nation au monde.
Quasiment à l’insu du reste du monde, Pékin vient d’entamer un combat sur le plan énergétique. Selon les médias chinois, le gouvernement prévoit, pour les cinq années à venir, la somme de 280 milliards d’euro pour financer des mesures visant des économies d’énergies et pour diminuer les effets négatifs de la pollution.
Cette somme s’ajoute aux 220 milliards déjà investis dans les énergies renouvelables. Plus important encore: à moyen terme, la direction chinoise veut libérer le cours du yuan (la devise chinoise), le coupler éventuellement à l’or, et, ainsi, détrôner le dollar comme devise globale.