L’ancienne directrice de l’ENA, fille d’instituteurs, Marie-Françoise Bechtel, députée de l’Aisne apparentée au groupe socialiste, livre ici un regard très critique sur le rapport des classes dirigeantes françaises à notre nation. De sa fréquentation des politiques à celle des élèves des grandes écoles, elle a rapporté de nombreuses anecdotes édifiantes.
Face à ça, dans cette période de crise, en France, le peuple se replie sur la nation, et comme on lui interdit d’être fier de son pays, qu’à longueur d’émission de télévision on lui explique que la France est une nation rance et sur le déclin, il prend le mauvais chemin, une mauvaise direction. Tous ces petits messieurs font le jeu du Front national.
Vous venez d’affirmer dans un entretien publié dans l’Expansion que «la spécificité française tient surtout à la détestation des élites envers la nation». Pouvez-vous préciser cette pensée et la justifier par quelques exemples ?
C’est une idée qui me poursuit depuis assez longtemps. Je me souviens l’avoir soutenue pour la première fois dans un entretien accordé à Joseph Macé-Scaron dans le Figaro fin 2000. Je lui avais dit que j’étais très frappée de voir à quel point les élites britanniques étaient fières de leur nation. Aujourd’hui, pour moi, c’est plus que jamais un constat absolu et évident. Les élites françaises ont honte de la France, ce qui n’empêche qu’elles peuvent avoir un comportement extrêmement arrogant, même si cela peut paraître paradoxal. […]
Autre exemple qui m’a été raconté de première main et qui illustre ce mélange de déni et d’arrogance. Dans les négociations européennes de 1997 à 1999, en vue de la conclusion du traité de Nice, Pierre Moscovici, alors ministre délégué aux Affaires européennes, avait traité les petits pays avec une morgue incroyable, coupant la parole aux uns, leur demandant d’abréger leur discours, exigeant que le représentant de la Belgique se taise.
C’est ce même Pierre Moscovici, toute son action le démontre, qui est persuadé que la nation française a disparu, que nous sommes devenus une région de la grande nébuleuse libérale et atlantisée.
Aucune partie de nos élites ne trouve grâce à vos yeux ?
Je n’ai aucune admiration pour la grande majorité des élites économiques, mais je pense qu’il y a des exceptions. Ainsi, par exemple, Jean-Louis Beffa, l’ancien patron de Saint-Gobain, me semble avoir encore une conscience nationale. En revanche, ce n’est pas du côté des banques qu’il faut chercher. L’épargne française est énorme, 17 % du revenu… Qu’en font-elles ? Rien, ou plutôt rien d’utile à notre pays. […]
Généralement, les hauts fonctionnaires partagent l’idéal européiste angélique et vertueux. Ils ont tous appris que «l’Europe est notre avenir». Sur ce sujet, leur esprit critique est assez peu développé. Ils pensent tous que la France est une affaire dépassée.
Pour conclure, avec de tels propos, ne craignez-vous pas de rejoindre les intellectuels et politiques qui ont été qualifiés de «néocons» par l’hebdomadaire le Point ? Méfiez-vous, vous vous retrouvez en compagnie de Marine Le Pen…
Oublions le ridicule inventaire du Point. Je pense que, si l’on avait davantage écouté Jean-Pierre Chevènement, mieux, si on l’avait élu en 2002, on verrait aujourd’hui ce qu’est la différence entre une conception ouverte, généreuse et patriotique de la nation et le repli frileux, pour ne pas dire infantile, sur des valeurs régressives. Le problème aujourd’hui est de faire comprendre aux Français que la nation bien comprise est source de modernité, non de repliement : mais comment le leur faire comprendre alors que, à gauche comme à droite, l’Europe telle qu’elle dérive est devenue «la grande illusion» ?
Marianne