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Sophie Elizéon est déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français des Outremers. Depuis quelques semaines, elle reçoit d’étranges mails, certains très longs, qui théorisent sur la notion de race et dévaluent l’antisémitisme par rapport aux autres racismes.

Elle explique pourquoi cette concurrence victimaire est dangereuse.
En cette année 2014, nous commémorons les cent ans de la Grande guerre. Se souvenir de 14/18, c’est se souvenir plus largement de l’Histoire de France. Notre Histoire.

Cette Histoire, c’est aussi celle de l’esclavage et la colonisation, qui ne sont encore que trop survolés dans les manuels et les enseignements scolaires.

Colonisation dont le traitement médiatique ne nous satisfait pas, nous ultramarins de l’Hexagone, pas plus qu’il ne satisfait les autres hexagonaux [1]. Esclavage dont la valeur de crime contre l’humanité a été reconnue par l’Etat français et je regrette que l’abolition ne soit pas davantage célébrée à travers le pays et que les célébrations ne mobilisent que peu de non-ultramarins. Reléguant encore cette cette funeste période de l’Histoire de France au rang de gigantesque secret de famille, la privant de sa portée nationale.
Mais cela peut-il justifier que nous nous lancions dans un concours – trivial – du nombre de victimes ? L’horreur de l’esclavage en elle-même n’est-elle pas assez grande pour que certains et certaines d’entre nous s’autorisent à minimiser la Shoah, espérant sans doute ainsi que l’esclavage vienne sur le devant de la scène ?
Je ne le crois pas. Pourtant, j’ai reçu de mes compatriotes des mails faisant écho aux propos d’un humoriste, dont le spectacle a depuis été interdit, et véhiculant des stéréotypes nauséabonds, qui reprennent la notion de race, celle-là même qui a permis de justifier l’esclavage mais aussi le génocide juif.
Extraits d’un courrier électronique reçu le 7/01/2014 :
“Il est démontré que l’antisémitisme supposé n’est pas du racisme, et que vouloir associer la dérive raciste à toute autre considération, relève d’une banalisation difficilement supportable, pour ceux et celles qui en sont les vrais victimes. […] La communauté noire dont l’Humanité lui est redevable d’un lourd tribut, ne peut opposer que son espoir, qu’un jour les choses basculerons, comme jadis l’empire romain, et en attendant, elle ne peut que souhaiter la fin de cet amalgame insupportable entre racisme et antisémitisme, ce qui éviterait qu’en étant habités par une haine raciale, certains fabriquent des délits imaginaires dont ils en seraient victime.”
Les approches comparatives sérieuses ne sont pas de cet ordre
Nombre de spécialistes du genre ont une approche comparative du mouvement pour les droits civiques des Africains-Américains et du féminisme. Ainsi Elsa Dorlin, professeure en sciences politiques, décrit le Black feminism comme “un mouvement de pensée politique qui […] a défini la domination de genre sans jamais l’isoler des autres rapports de pouvoir, à commencer par le racisme […]” [2].
De la même manière, j’ai la conviction que le combat que nous menons pour que l’Histoire de l’esclavage et de ses abolitions soit enfin reconnue comme constitutive de l’Histoire du peuple français, est le même que celui qui nous engage à lutter contre l’antisémitisme.
La construction mentale qui consiste à étendre un constat fait sur un individu à l’ensemble des personnes dont on suppose qu’elles partagent avec lui une idéologie, une religion, une origine, voilà bien ce qui construit les préjugés. Lesquels sont porteurs de jugements de valeurs qui, une fois généralisés, sont utilisés pour qualifier l’ensemble des personnes susmentionnées.

Exemple : un enfant me ment, j’en déduis que les enfants mentent, dès lors le mensonge est ce qui pour moi caractérise les enfants et je n’ai plus confiance en la parole des enfants.

Nous savons le tort infini que ce jugement de valeurs a pu causer par le passé et cause encore parfois.
C’est ce type même de raisonnement qui légitime la pensée antisémite. Comme il sous-tend le racisme. Les racismes, devrais-je dire, car le racisme n’est pas que négrophobe.
Et je crois que chacun d’entre nous a un rôle particulier à jouer dans la lutte contre toutes ces idéologies létales pour la République et la démocratie.

Notre Histoire, c’est l’esclavage et la Shoah

Parce que nous, ultramarins, sommes issus d’alliances de cultures, d’origines géographiques, familiales et sociales, de construction des pensées et des paroles extrêmement diverses, nous sommes ouverts sur le monde.
Et nous souffrons avec Haïti ou Madagascar aussi certainement que nous entreprenons avec l’Inde ou le Mozambique, que nous festoyons avec le Brésil ou le Québec et que nous nous formons avec l’Australie ou les Etats-Unis. En ce sens nous sommes l’avenir du monde et nous le faisons avancer.
Et puisque pour avancer vers l’avenir il faut regarder le passé, rappelons-nous que l’Histoire de France, mon histoire, c’est l’esclavage et la colonisation bien entendu, mais c’est aussi la Shoah et le Vel d’Hiv.
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