Pour l’industrie, le boom du pétrole de schiste aux Etats-Unis ouvre une voie capable de repousser sine die le déclin de la production mondiale de brut. Une voie étroite, vu le dernier pronostic publié par l’administration Obama. Tout autour du globe, la course de crête est lancée !
Grâce à la fracturation hydraulique du pétrole de schiste aux Etats-Unis (et bientôt ailleurs), la question du pic de production “ne semble plus vraiment pertinente”, m’a récemment fait savoir un haut responsable du groupe pétrolier français Total.
Le boom du pétrole de schiste (ou de roche-mère à plus proprement parler) a permis un bond de 15 % de la production américaine de brut l’an dernier. Il s’agit de la plus forte progression enregistrée depuis vingt ans où que ce soit dans le monde. La production pourrait à nouveau augmenter de pas moins de 780 000 barils par jour en 2014, soit une nouvelle hausse spectaculaire de près de 10 %.
Les arbres ne montent cependant toujours pas jusqu’au ciel.
L’administration Obama a annoncé en décembre que la production américaine de pétrole brut devrait plafonner à partir de 2016, “quasiment” au niveau de son record historique de 1970. Puis cette production entrera à nouveau en déclin en 2020. Un sursis pourrait être apporté par de nouvelles prouesses techniques, très plausibles (nous y reviendrons).
Washington estime pour l’heure que le boom du pétrole de roche-mère, concentré au Texas et dans le Dakota du Nord, devrait durer sept ans au total, de 2009 à 2016. C’est plus court que la phase d’expansion de l’Alaska et plus court encore que celle de la mer du Nord, deux zones pétrolifères développées tambours battant à l’issue du premier choc pétrolier, et désormais en fort déclin.
En prenant en compte les agrocarburants, les liquides de gaz naturel et les condensats, la production totale de toutes les formes de carburants liquides aux Etats-Unis pourrait dépasser 14 millions de barils par jour. Ce serait la production la plus élevée jamais atteinte par un pays dans l’histoire. Cette production totale devrait elle aussi plafonner en 2016, et entrer en déclin en 2020 :
Il sera indispensable de répéter ailleurs le boom américain du pétrole de roche-mère, si l’industrie veut en faire une issue face au déclin de la production de pétrole conventionnel.
Où ça ailleurs ?
En Ukraine, Shell et Chevron ont signé en novembre des plans d’investissements de plusieurs milliards de dollars potentiels pour rechercher et exploiter du pétrole et du gaz de roche-mère.
En Argentine, Shell et Chevron, encore eux, ont commencé l’exploration de la formation de Vaca Muerta. Ils sont loin d’être seuls sur les rangs.
En Sibérie occidentale, la Shell et le géant russe Gazprom ont démarré début janvier une campagne de forages exploratoires. La formation géologique de Bajenov pourrait contenir d’avantage de pétrole de roche-mère que les Etats-Unis. Chevron et ExxonMobil sont également présents sur place. Et Total est dans les starting block, rapportent Les Echos. Selon plusieurs observateurs, les conditions de production difficiles et les énormes capitaux nécessaires devraient donner lieu à une expansion nettement moins rapide qu’aux Etats-Unis, sans doute comparable au rythme de développement des sables bitumineux du Canada.
En Chine, qui après la Russie et les Etats-Unis recèlerait la plus grande part des ressources de pétrole de roche-mère, le développement promet d’être non moins délicat qu’en Sibérie.
Ce n’est sans doute pas une coïncidence :
Shell, pionnière en Sibérie, en Ukraine comme en Argentine, vient de vendre ses parts dans un projet d’infrastructure jugé peu stratégique en Australie (où le gaz de schiste peine à démarrer). Cette vente en annonce sans doute beaucoup d’autres cette année de la part des majors du pétrole, estime le New York Times.
Shell, comme les quatre autres majors historiques, a fait face au cours des dix dernières années à une érosion importante et sans précédent de sa production de brut.
La compagnie BP a été la première à se lancer dans la stratégie d’élagage maintenant adoptée par Shell. BP est elle aussi confrontée à de graves difficultés pour compenser le déclin de sa production. La réorientation massive de capitaux productifs apparaît comme une nouvelle tendance de fond parmi les grandes compagnies pétrolières.
Réorientation à haut risque : les majors sont lancées dans un accroissement inouï de leurs investissements, qui menace de saper les rentabilités, et ne permet pas pour l’instant d’enrayer les baisses de production de la dernière décennie.
L’industrie pétrolière dans son ensemble a encore battu en 2013 un nouveau record d’investissements : près de 700 milliards de dollars l’an dernier, rien que pour la production du brut ! En passant, notons que c’est… mieux… que l’industrie des renouvelables, dont le total des investissements a chuté l’an dernier pour la seconde année consécutive (254 milliards de dollars en 2013, contre 318 en 2011, soit un repli de 20 %).
Avec un chiffre d’affaires global annuel de l’ordre de 3500 milliards de dollars, la cylindrée de l’industrie pétrolière paraît dépasser aujourd’hui celle de tout autre secteur industriel. Le maintien du prix du baril à un niveau historiquement élevé procure aux firmes pétrolières des capacités de recherche et d’investissement hors-norme et sans précédent.
La mobilisation générale des capitaux dans la ruée planétaire sur le pétrole de roche-mère et les autres pétroles non-conventionnels suffira-t-elle à compenser un déclin du pétrole brut classique ?
Même en tenant compte de progrès techniques encore à venir ou déjà “dans le pipe” (comme on dit), c’est pas gagné. Nous allons y revenir. A suivre…