[rediffusion d’avril 2013]
Texte de Florence Dupont (agrégée de lettres classiques, auteur de Rome, la ville sans origines : un grand récit du métissage, livre qui «invite à déconstruire l’idée contemporaine d’identité nationale à partir de l’Antiquité romaine.»
(extraits choisis) “Du bleu et du rose partout dans le ciel de Paris : les manifestants contre le mariage pour tous ont déferlé en agitant des milliers de fanions, de drapeaux et de banderoles à ces deux couleurs.
Bleu ou rose : les deux couleurs qui marquent les bébés à la naissance assignent à chacun, définitivement, sa résidence sexuelle. La médecine, l’état civil et ses premiers vêtements enferment l’enfant à peine né dans l’alternative du genre. “Tu seras un papa bleu, mon fils.” “Tu seras une maman rose, ma fille.” L’éducation commence immédiatement.
(…) Bleu, blanc, rose. Le drapeau national, infantilisé, est l’emblème d’un peuple de “Blancs” que ne distingue entre eux que le genre attribué à la naissance.
Le logo dessiné sur ces fanions répète à l’infini l’image de la famille “naturelle”. Quatre silhouettes blanches accrochées l’une à l’autre comme dans les guirlandes de papier. Toutes les familles sont identiques. Ce sont des clones.
Ce sont des clones. Les mêmes quatre silhouettes soudées de la famille exemplaire sont reproduites par milliers, exactement semblables : un cauchemar identitaire.
Chacun derrière sa porte. Chacun son destin. Chacun sa façon de faire pipi, debout ou assis. (…) Pour ces prisonniers de leur anatomie puérile, traduite en contraintes sociales du genre, quelle sexualité “naturelle” ?
Leur innocence bleu et rose n’autorise que le coït matrimonial pour faire des filles et des fils qui seront les clones de leurs parents et ajouteront un module à la farandole.
Aucune place n’est faite aux enfants différents ! Aucune place pour les pères à cheveux longs, les femmes et les filles en pantalon, les mères voilées, les pères en boubou. Aucune place pour les familles différentes aux parentés multiples – monoparentales, recomposées, adoptives – ! Aucune place pour les familles arc-en-ciel.
La famille nucléaire dessinée sur le logo, et présentée comme naturelle, n’est que le mariage catholique bourgeois du XIXe, adopté au XXe siècle par les classes moyennes, et désormais obsolète. C’est une famille étouffante, répressive.
Sur les logos, la famille est filtrée par le regard des enfants : les adultes n’existent que pour être leur papa et leur maman naturels. Papa bleu et maman rose ne sont pas un couple hétérosexuel, mais une paire de reproducteurs “blancs”.