“La pédagogie neutre selon la Suède” raconte comment deux maternelles n’emploient plus le masculin et le féminin. Un documentaire d’Arte revient sur cette expérience.
Sur son dessin, Anna (4 ans) a représenté “elle”, un triangle sommaire figurant une robe, et “il”, un triangle plus ramassé terminé par deux tuyaux. La petite fille s’interroge : “Je me demande à quoi ‘hen’ ressemblerait ?”. “Hen” ? Depuis 1998, le gouvernement suédois a demandé aux écoles de travailler contre les stéréotypes de genre, et pour faciliter cette démarche, elles recourent à l’usage du prénom neutre.
Mais comment le vit-on dans les classes ? Dans les familles ? Chantal Simon et Philippe Lagnier font un récit subtil d’une expérience extrême menée à Nicoaligarden et Egalia, deux maternelles de Stockholm où les enseignants ont carrément supprimé l’usage des pronoms personnels “il” et “elle”. “Nous ne voulons pas intervenir sur la biologie”, explique la directrice Lotta Rajalin qui accueille, en short, les nouveaux parents pour la réunion de rentrée. “Nous voulons enlever la ligne de séparation entre les filles et les garçons pour que les deux puissent investir tout l’espace”.
On est dans les classes. La maîtresse lit un livre où Kivi –ni lui, ni elle- voudrait un chien. “Est-ce important de savoir si c’est une fille ou un garçon ?”, demande-t-elle innocemment. Pour la danse, les garçons peuvent mettre des jupes. Les professeurs font attention à dire “camarade” ou “enfant”, ou à appeler les enfants par leur prénom. Mais dans les familles, autour de la table où des bougies brûlent, le débat est ouvert. Pour les uns, le neutre est une idée artificielle. Pour les autres, il y a urgence à l’appliquer. “Les catégories handicapent tellement quand on devient adulte !”. Pendant que leurs parents refont leur monde, dans la chambre d’enfant les petites filles jouent à la poupée, et les garçons aux jeux vidéo…
Les dialogues sont étonnants de naturel. Les réalisateurs ont réussi à se faire oublier des enfants –et des adultes, tout en conduisant leur récit avec fermeté. Les difficultés de cette pédagogie pionnière apparaissent à travers des scènes d’anthologie.
Une petite fille fait une grosse colère pour mettre une veste rose, mais sa maman ne veut pas qu’elle ne choisisse une couleur… de fille. Dans un magasin de vêtement, deux mères s’inquiètent qu’il y ait encore un coin “fille” et un coin “garçon”. “C’est la demande des clients”, répond sobrement la vendeuse. Un instituteur un peu surpris s’entend expliquer par une de ses collègues : “Même si on te voit nu, on ne saura pas si tu es un masculin ou féminin. Ton sexe intérieur ne correspond pas forcément à ton sexe extérieur”…Les enjeux de la révolution “neutre” affleurent progressivement : faut-il éradiquer les pronoms personnels dans les comptines, dans les albums, au risque de trahir la tradition ? Les enfants n’ont-ils pas besoin de désigner leurs différences pour se construire ?
Le Nouvel Obs