Avec la crise et le “ras-le-bol fiscal”, la fraude s’envole. En 2013, les redressements de l’Urssaf ont atteint 290 millions d’euros, un record.Transports, BTP et restauration sont les plus visés.
Quinze entreprises de sécurité et des dizaines d’agents payés au noir grâce à un système de fausses factures, orchestré depuis une cité de Seine-et-Marne. Pour Didier Deloose, le shérif de la lutte contre le travail illégal à l’Urssaf Ile-de-France, c’est une affaire emblématique. En novembre, ses inspecteurs ont débarqué dans plusieurs sociétés de vigiles. La plus importante, basée aux Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), déclarait ses 500 salariés aux 35 heures, mais certains en faisaient 70.
Pour cacher les salaires occultes, le gérant faisait appel à un escroc, patron de PME à Melun. “La société de sécurité enregistrait de fausses factures adressées au pseudo-sous-traitant de Melun, explique Didier Deloose. Ce dernier prélevait une commission et reversait l’argent sous forme de chèques destinés à payer le personnel non déclaré.” Des chèques encaissés par des proches des salariés, afin de brouiller les pistes. Le gérant, épinglé, va écoper d’un redressement de 2,5 millions d’euros. Comme lui, les quinze patrons qui ont eu recours au faussaire de Melun seront poursuivis par la justice.
Ce genre d’affaire, les limiers de l’Urssaf en trouvent à la pelle. En 2013, leurs redressements pour travail dissimulé ont atteint 290 millions d’euros. Une envolée de… 168% depuis 2008. Peu à peu, les pouvoirs publics pénètrent le monde occulte du travail au noir, ciblant leurs contrôles dans les secteurs les plus indélicats : le bâtiment, l’agriculture, les hôtels et cafés-restaurants.
Dans ces métiers, 12.000 entreprises ont été épinglées pour travail illégal en 2012 sur les 65.000 contrôlées. Soit, en moyenne, 18% de fraudeurs !
Pas de doute, le travail au noir est bel et bien en train de gangrener notre économie. Un vrai fléau. Selon les dernières estimations de 2011, le travail dissimulé représenterait un manque à gagner en cotisations sociales entre 13,5 et 15,8 milliards d’euros, un montant proche du déficit de la Sécurité sociale en 2013.
Et l’économie souterraine – incluant la fraude fiscale et les activités criminelles – pèserait 10,8% du PIB, soit près de 220 milliards d’euros, selon l’économiste autrichien Friedrich Schneider. “Le travail illégal est un dumping social qui pèse sur l’ensemble de notre modèle”, martèle Michel Sapin, le ministre du Travail.
Avec la crise et le “ras-le-bol fiscal”, le phénomène explose. Ainsi, un tiers des Français déclarent “travailler ou avoir travaillé au noir”, contre 13% en 2008, d’après un sondage de la société Market Audit pour une entreprise de services à la personne. La part de travail dissimulé atteindrait 54% dans les gardes d’enfants occasionnelles et 42% dans l’accompagnement des seniors. Et la proportion de “travail gris”, la déclaration partielle des heures effectuées, aurait bondi de 18 points pour les tâches ménagères….
A côté du travail au noir courant des particuliers, les fraudes des entreprises deviennent de plus en plus sophistiquées. Désormais, les employeurs veillent à préserver une apparence de légalité : ils remplissent consciencieusement toutes les déclarations préalables à l’embauche, au cas où il y aurait un contrôle, et paient sous le manteau seulement une partie des heures…
Mais ce sont les arnaques internationales qui inquiètent le plus. “L’Europe est devenue une vaste plateforme favorisant les fraudes”, déplore Patrick Knittel, à la tête de l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), service d’élite chargé de traquer les gros trafics.
Le révélateur : l’explosion des travailleurs détachés provenant de l’Union européenne (220.000 en 2013), multiplié par 30 depuis 2000.
“Vous cherchez un spécialiste bien qualifié ? Vous voulez réduire les frais d’emploi ? Rien de plus facile !” claironne la société polonaise Eurokontakt Projekt Serwis, dans l’une des milliers d’annonces reçues par nos entreprises du bâtiment. Certes, une société polonaise peut “détacher” temporairement un salarié en France, si elle le rémunère au moins au smic, les charges sociales étant versées en Pologne. “Mais il y aurait 400.000 travailleurs détachés non déclarés qui réalisent 50 à 70 heures par semaine, avec parfois des salaires de 400 à 500 euros par mois”, s’alarme Didier Ridoret, président de la Fédération française du bâtiment. Les grands groupes français du secteur profitent aussi du phénomène. “Ils acceptent, parfois en connaissance de cause, de faire appel à des sociétés étrangères en infraction”, déplore Patrick Knittel….
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