Les produits bio gagnent peu à peu les cantines scolaires. Certaines villes comme Saint-Étienne affichent même l’objectif de cuisiner 100 % bio. Simple greenwashing, avec des aliments cultivés à l’autre bout de la planète ? Ou véritable volonté politique de transformer l’alimentation des écoliers, tout en développant les filières agricoles locales ?
Basta! a mené l’enquête. L’occasion de défaire quelques idées reçues sur le bio en restauration collective. Et de montrer qu’avec les nombreux outils à disposition des collectivités, passer en 100 % bio dans les cantines, tout en cuisinant local, ce n’est pas si compliqué !
Une ville ouvrière révolutionne la restauration scolaire. Saint-Étienne, 170 000 habitants, est en passe d’assurer une alimentation 100 % issue de l’agriculture biologique pour les cantines des écoles maternelles et primaires. Soit près de 3 000 repas servis quotidiennement. « Un objectif valable à compter du 1er janvier 2014 », souligne Fabrice Poinas, chef de service de la restauration scolaire de la ville. Avec une petite nuance : ces « 100 %» s’appliquent si les produits sont disponibles sur le marché. Difficile en effet de trouver du poisson d’élevage ou des galettes des Rois labellisés Agriculture biologique. L’ambition pour Saint-Étienne est double puisqu’il s’agit de menus bio… et locaux !
Le bio dans les cantines de Saint-Étienne
« En 2013, 80 % de nos repas étaient bio et composés à 41 % de produits locaux », se réjouit Fabrice Poinas. C’est-à-dire qu’ils proviennent de la Loire ou de départements limitrophes, voire un peu plus éloignés comme la Drôme. L’initiative de Saint-Étienne est la seule à être menée à cette échelle. D’autres communes de plus petite taille ont atteint le 100 % bio, comme Mouans-Sartoux (10 200 habitants) dans les Alpes-Maritimes, en régie directe, avec des légumes issus pour moitié du potager municipal. Des dizaines d’expériences de restauration collective bio et locale sont recensées sur le site restaurationbio.org. « La carte n’est pas exhaustive mais cet outil montre la diversité des expériences, aussi bien en restauration scolaire que pour des établissements hospitaliers ou pénitentiaires », relève Julie Portier de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB).
La progression à l’échelle nationale demeure néanmoins très lente
Depuis 2012, 56 % des établissements de restauration collective déclarent proposer ponctuellement des produits biologiques, contre 4 % en 2006 selon l’Agence Bio. Mais le volume d’achat en bio ne représente que 2,4 % pour la restauration collective. Bien loin de l’objectif de 20 % fixé par le plan « Ambition bio 2017 » du ministère de l’Agriculture. Pourquoi le développement est-il si peu rapide ? « Cela demande une grande volonté politique, beaucoup de changements de pratiques et d’habitudes », estime Julie Portier. Les idées reçues autour du bio en restauration collective sont aussi monnaie courante. Et nombre d’outils à disposition des collectivités demeurent largement sous-utilisés ou méconnus.
Des plateformes collectives pour répondre à la demande des collectivités
Parmi les idées préconçues : les filières bio seraient incapables de répondre à la demande. « C’était vrai il y a dix ans, mais ça l’est de moins en moins. C’est même un prétexte derrière lequel les collectivités se retranchent », pointe Julie Portier. Certes, en France, la part de surface agricole en bio s’élève à seulement 3,8 %. « Mais si toutes les communes du Grand Lyon approvisionnaient leur cantine avec des produits locaux, il faudrait l’équivalent de 10 hectares en arboriculture, relativise Bérénice Bois, de l’association des producteurs biologiques du Rhône et de la Loire (ARDAB). Ce n’est rien du tout ! ». Pour parvenir à une adéquation entre l’offre et la demande, la FNAB encourage depuis dix ans la création de coopératives de producteurs. 26 plateformes couvrent aujourd’hui 70 % des départements.
La ville de Saint-Étienne s’approvisionne auprès de la coopérative Bio A Pro. Cette plateforme logistique réunit une cinquantaine d’associés sur les départements du Rhône et de la Loire, assure enregistrement, étiquetage et livraison à la cuisine centrale. « Elior, le prestataire de la ville de Saint-Étienne, nous passe les commandes deux à trois semaines à l’avance car les volumes sont assez importants », explique Céline, l’une des trois salariés de Bio A Pro. En un an, la coopérative a livré à Elior 11 tonnes de yaourts, 10 tonnes de légumes frais et aromatiques, plus de 5 tonnes de pommes ! Que faire en cas de pénurie ? « Si l’on n’a pas assez d’endives, on appelle la cuisine centrale et on alterne avec un autre produit dont on dispose en plus grandes quantités. » « En fonction des réponses, le menu évolue » , confirme la ville de Saint-Étienne.
Progressivité et régularité pour structurer les filières
L’introduction progressive et régulière de produits bio dans les menus est un autre point clé. De 50 % au démarrage en 2009, Saint-Étienne a augmenté chaque année de 10 % la part de produits issus de l’agriculture biologique dans ses repas. « L’idée est de laisser au prestataire le temps de s’organiser et au marché celui de s’adapter », assure le chef de la restauration scolaire. Certaines collectivités font le choix d’opérations ponctuelles avec des menus 100 % bio deux à trois fois par an. « Le problème est que ces opérations n’ont pas d’effet structurant sur la filière », observe Julie Portier de la FNAB. Il y a le risque que le prix augmente, que le cuisinier soit dépassé et que les convives n’apprécient pas forcément.
« Pour le démarrage, mieux vaut quelques ingrédients en bio régulièrement comme le pain, la viande, les pommes ou les carottes », préconise la FNAB. Les producteurs peuvent ainsi s’organiser et les prix être lissés sur le long terme. Une filière en pain bio a par exemple été développée grâce à un partenariat entre la ville de Bagneux (Hauts-de-Seine) et le Groupement des agriculteurs biologiques (GAB IDF). Saint-Étienne a fait le choix d’écarter au départ la viande bio pour laisser le temps à Bio A Pro de s’organiser. La coopérative se dit désormais en capacité de fournir des steaks frais surgelés. « Sauf que pour des raisons sanitaires, la cuisine centrale ne les travaille que “précuits à cœur”. Nous sommes en train de voir si les producteurs peuvent s’adapter à la transformation », souligne la salariée de Bio A Pro. Le décalage entre les normes de la restauration collective et les pratiques des producteurs entrave parfois le développement des filières locales.
Créer des légumeries pour assurer la transformation
Carottes pleines de terre, pommes de terres de taille différente, salades abîmées… Ces légumes bruts peuvent être préparés et cuits sur place, dans les cantines ayant fait le choix de la régie directe, comme dans le 12e arrondissement de Paris. Mais pour les cantines en gestion concédée, c’est une autre affaire. Les légumes doivent être préalablement nettoyés, épluchés et mis sous vide avant d’arriver dans les cuisines centrales, pour des raisons d’hygiène et de manque de personnel. « L’outil de transformation apparaît souvent comme le chainon manquant pour permettre aux producteurs bio d’accéder à la restauration collective », pointe Julie Portier.
Pour répondre à ce manque, des légumeries ont vu le jour. Les légumes y sont triés, lavés, épluchés et emballés, prêts à l’emploi pour les cantines. C’est à Flins (Yvelines) qu’a été inaugurée en mars 2012 la première légumerie bio d’Ile-de-France.
La légumerie de Flins
Pour pouvoir y recourir, les agriculteurs doivent adhérer à la Coopérative d’utilisation de matériel agricole Bio Val-de-Seine. Principale limite, ces investissements lourds requièrent le soutien des collectivités [1]. De gros volumes sont nécessaires pour viabiliser cet outil. 200 tonnes de produits finis peuvent y transiter chaque année. L’équivalent de 2,5 millions de portions de carottes râpées ! Les communes des départements voisins ont tendance à vouloir créer leurs propres légumeries, alors même que celle de Flins ne fait pas encore le plein. Il est pourtant essentiel de conforter les outils existants à l’échelle régionale, avant de construire de nouvelles structures.
Innover pour ne pas augmenter le budget
Autre grande idée reçue : le passage des cantines en bio coûte-t-il plus cher pour la ville et les parents ?
« On a des exemples de collectivités où le budget n’a pas augmenté, voire a même diminué, comme pour le collège de Chabeuil dans la Drôme », illustre Julie Portier. L’introduction de produits bio et locaux est souvent l’occasion d’une remise à plat des pratiques. La ville de Clamart (Hauts-de-Seine) a par exemple remplacé à partir de 2008 la majeure partie des denrées servies en emballages individuels par leur équivalent en conditionnements collectifs. « Alors que le budget denrées est d’1,5 million d’euros, nous en avons dépensé 1,4 en 2009 et 1,3 en 2010. Une différence qui est réinvestie dans l’introduction de produits bio » confiait il y a trois ans le conseiller municipal François Soulabaille. Le volume mensuel de denrées bio servies dans les cantines de Clamart est ainsi passé, à budget constant, de 0 à 50 % en trois ans !
Pour éviter un surcoût, les menus sont composés avec soin. Certaines cantines diminuent la quantité de viande et compensent par des céréales et des légumineuses. La baguette blanche à volonté est remplacée par une tranche de pain complet bio. La ville de Brest mise sur les menus de saison. Florence Busson de la Maison de la Bio 29 participe chaque mois à la commission des menus, aux côtés du prestataire Sodexo. « Cela fait sept ans que l’on travaille ensemble. Cela créée des réflexes et les propositions de menus ne sont plus celles du début. Les tomates ont disparu des menus d’hiver. La nouveauté, ce sont les panais râpés en entrée ». Les 6 000 repas servis quotidiennement dans les cantines maternelles et primaires de Brest sont aujourd’hui composés à 30 % de produits bio et locaux.
La réforme des appels d’offre
Lorsque la ville de Saint-Étienne lance son appel d’offres en 2009, la démarche aurait pu tourner court. « Nous avions indiqué dans le cahier des charges que les produits devaient provenir au maximum de la Loire et des départements voisins. C’était un peu limite à l’époque, mais nous n’avons eu aucun recours », confie Fabrice Poinas. Le Code des marchés publics a, depuis, intégré une nouvelle notion : celle de « performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture ». « Ce critère permet de donner une meilleure note au candidat qui a le moins d’intermédiaire », explique Julie Portier. Certaines villes pratiquent également l’allotissement pour s’approvisionner. « Plutôt que de rédiger un seul appel d’offre pour du riz ainsi que des fruits et légumes bio, la ville distingue les deux appels d’offre de manière à ce que des producteurs locaux puissent répondre à l’un des deux marchés ».
Le premier appel d’offres pour un approvisionnement bio a été lancé à Brest en 2007. Mais le travail de réflexion sur la rédaction du cahier des charges a été amorcé dès 2005. « Nous avons commencé par discuter avec les élus de la ville de Brest et le personnel de restauration, se souvient Florence Busson. La question était de savoir quels étaient les produits bio les plus pertinents à produire. On a ciblé onze lignes de produits pour lesquels on connaissait la disponibilité locale. L’objectif était que ces produits soient 100 % bio tout au long de l’année ». Ces lignes de produits – pommes de terres, carottes, salades, pommes, yaourts nature – ont été traduites sous forme d’options dans le cahier des charges. Brest a pu démarrer en 2007 avec 20 % de produits bio. « La collectivité a tout pouvoir pour fixer les exigences souhaitées dans le cadre d’un marché public », résume Julie Portier.
Transparence et contrôle du prestataire
Mais comment s’assurer que les produits sont bien locaux ? Surtout quand la gestion des repas est déléguée à un prestataire privé mondialisé, comme Sodexo ou Elior.
« Il ne suffit pas de dire “30 % de bio”, il faut aussi un contrôle et des indicateurs », avertit Julie Portier. Des clauses sur le contrôle peuvent être intégrées dans le marché public. A Saint-Étienne, le chef de la restauration scolaire se rend chaque mois dans les locaux du prestataire et vérifie les stocks et les modes de fabrication. « Je regarde également tous les documents, comme les bons de livraison et les fiches des produits pour voir si cela correspond avec les quantités et la provenance annoncée dans les menus », détaille Fabrice Poinas.
« Nous imposons beaucoup de transparence, nous posons beaucoup de questions et nous voulons un maximum d’éléments, confirme Florence Busson de la Maison de la bio dans le Finistère. A Marseille, le collectif de parents Changeons la cantine se mobilise régulièrement depuis l’attribution de la totalité du marché de la restauration scolaire à Sodexo (lire l’article). Ils réclament la mise en place d’un comité d’usagers pour pouvoir être impliqués dans la qualité et le suivi de la prestation.
Former le personnel de restauration
Dans le cadre d’une circulaire de 2008, l’État s’était engagé à « l’exemplarité » en matière d’utilisation de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective. « Mais les clés méthodologiques pour y arriver sont restées dans un tiroir, regrette Julie Portier. Or, former les cuisiniers dans les cantines est un moyen simple pour enclencher un changement. » Le Lycée Liberté de Romainville (Seine-Saint-Denis) propose des produits bio dans son self depuis 2005. « Ouvrir des boîtes et des sachets, tout le monde peut le faire. Notre cuisine doit avoir un sens : on travaille du vivant, de l’affectif, on n’empile pas des parpaings. Tant qu’on n’intègrera pas ces considérations, on ne pourra pas motiver les collègues, susciter des vocations, explique son chef cuisinier René Pierre Brachet. C’est plus valorisant de choisir ses produits et d’avoir une maîtrise sur sa transformation » (lire ce reportage). Ce chef a rejoint le réseau national de formateurs pour intervenir au sein des collectivités.
A Saint-Étienne, un programme de sensibilisation a été mené auprès du personnel de restauration. « Ces derniers étaient obligés de participer à l’une des trois sessions, précise Elodie Rolland de l’Ardab. L’enjeu était que les équipes soient en capacité d’informer les élèves sur l’agriculture biologique ». A Brest, trois nouvelles personnes assurant le service dans les cantines intègrent chaque année la commission des menus. A Clamart, des formations ont été proposées au personnel pour préparer les légumes non transformés. La municipalité a aussi recruté du personnel diplômé, mis en place un système de compagnonnage et responsabilisé chaque employé sur une partie de la production. Dans toutes ces villes, la dynamique est en route et s’élargit au portage des repas aux personnes âgées ainsi qu’aux crèches. Autant d’expériences à suivre.
Bastamag