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Le mathématicien Jean-Pierre Demailly constate que les programmes scolaires sont devenus complètement incohérents. Jean-Pierre Demailly, professeur de mathématiques à l’institut Fourier (Grenoble-I), membre de l’Académie des sciences, qui a collectionné (sans le faire exprès, je peux en témoigner) les plus hautes distinctions et qui est incidemment le président du Grip, ce laboratoire des méthodes intelligentes auquel Vincent Peillon, contrairement à ses prédécesseurs, n’accorde plus qu’une aumône, de donner son sentiment sur les programmes, de la maternelle au bac.
Le Point : Vous avez à maintes reprises alerté l’opinion et les services ministériels sur l’épidémie d’innumérisme et de dyscalculie qui frappe aujourd’hui les écoliers français. Quelles en sont les causes ?
Jean-Pierre Demailly : Les réformes successives du système éducatif français depuis la fin des années 1960 ont progressivement vidé les programmes scolaires de leur contenu. Les réformes ont surtout été pensées en termes de gestion des flux ou en termes budgétaires, et – pour autant qu’il y ait eu réellement un pilote dans l’avion – les responsables n’ont en général prêté qu’une attention très faible à la cohérence et à la pertinence de ce qui pouvait être enseigné. La situation est particulièrement catastrophique pour l’enseignement des mathématiques et des sciences physiques : il n’y a pratiquement aucun programme à quelque niveau que ce soit qui tienne encore vraiment debout dans notre pays ; on peut observer des incohérences et des lacunes majeures dans toutes les progressions scolaires, depuis la maternelle jusqu’aux classes préparatoires et à l’université.
Cela, c’est l’actualité. Mais d’où venons-nous, et où allons-nous – mathématiquement et pédagogiquement parlant ?
La France avait eu la chance, avec les grands fondateurs de l’école de la République, comme Pauline Kergomard, d’être l’un des premiers pays au monde à reconnaître le rôle fondamental des premiers apprentissages et de l’école maternelle, et ce dès les années 1880. À cet âge, le langage oral joue un rôle très important, mais les enfants peuvent aussi déjà s’exprimer par le dessin et diverses formes de graphie, préparant ainsi la lecture et l’apprentissage de la géométrie. La synergie des différentes activités joue un grand rôle – il est possible de faire du calcul à l’occasion des séances de gymnastique (mise en rang, etc.) ; la danse, les postures physiques aident à la latéralisation, indispensable à la lecture. On peut même arriver assez vite à des petits problèmes de calcul comme la division par 2, à l’occasion de problèmes de partage simples.

Or les objectifs actuels de la maternelle tendent à nier tous ces apprentissages explicites (dessin, graphie, maîtrise du langage oral, calcul sur les petits nombres, premiers déchiffrages) au profit d’objectifs flous comme le “vivre ensemble”, quand il ne s’agit pas de pseudo-cours ubuesques de sociologie ou de philosophie. Ainsi la question cruciale du sexe des anges semble être redevenue un des principaux sujets de préoccupation ces dernières semaines…

À l’école primaire, les premiers enjeux – et les enjeux premiers – sont la maîtrise de l’écriture-lecture et du calcul. Ces apprentissages fondamentaux ont hélas beaucoup souffert de la mise en place de méthodes, de programmes et de progressions d’enseignement inadaptés. Peu à peu, le savoir-faire des professeurs d’école s’est érodé, et aujourd’hui, sans en avoir conscience, une majorité d’entre eux se contente de pratiques sous-performantes, souvent à l’instigation de l’institution scolaire elle-même.
(…) Le Point

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