“Le petit Blanc n’intéresse pas la gauche parce qu’il est blanc, et pas la droite parce qu’il est pauvre.”
Isolés dans une société plus multi-ethnique que jamais, abandonnés par ceux qui réussissent, les « petits Blancs » constituent l’angle mort de la sociologie française, selon Aymeric Patricot. “J’enseigne depuis dix ans en ZEP (zone d’éducation prioritaire), dans la région parisienne, et je suis au contact de la réalité du métissage. J’y ai constaté le décalage entre l’omniprésence des questions ethniques, des différences d’origine et de couleur de peau parmi mes élèves et le mutisme médiatique sur ce thème.
Issu d’une ville normande pas du tout métissée, je me suis découvert blanc dans un environnement où, étant minoritaire, ma couleur de peau avait une importance.
En France, on refuse de parler de ce sujet.
Qui est ce petit Blanc dont vous parlez ? C’est un Blanc pauvre. La pauvreté économique est évidemment essentielle ici mais avec cette particularité que la misère et les comportements qu’elle engendre n’ont pas l’« excuse » de l’esclavage ou de la discrimination. S’il est pauvre, c’est de sa faute et il n’a pas le droit de se plaindre.
S’y ajoute, aujourd’hui, une fracture chez les Blancs, entre ceux qui s’en sortent et ceux que la mondialisation n’aide pas, qui se sentent abandonnés. Leur ressentiment est économique, plus à l’égard des bobos que d’une minorité ethnique. Ils en souffrent d’autant plus que les gens à l’abri les considèrent comme des beaufs racistes, alors que ce sont eux qui vivent le métissage de près.
J’avais peur d’être récupéré par l’extrême droite, même si mon propos, nourri par une enquête de terrain, est modéré, pas du tout politique, l’idée étant de cerner des faits et de souligner une nouvelle réalité dans notre pays. Voici trente ans, je ne me serais pas caractérisé comme Blanc mais c’est ainsi, la société se diversifie. Je ne pense pourtant pas que le racisme se développe en France. C’est la diversité qui augmente et donc les questions qu’elle pose qui se multiplient.
Le plus troublant est d’entendre le discours de gens modérés qui se sentent mal parce qu’ils n’ont pas le droit d’exprimer leur souffrance.
J’ai rencontré des paysans pauvres qui m’ont dit : « Nous, on ne brûle pas de voitures, on ne nous écoute pas ».
La misère s’approfondit dans notre pays et la classe politique n’en a pas conscience : l’augmentation des SDF, dont de plus en plus de femmes, les problèmes de fin de droit, l’usage de la drogue dans les campagnes, l’isolement ethnique en sont des signes.
Le petit Blanc est ce que j’appelle un angle mort de la sociologie. Il n’intéresse pas la gauche parce qu’il est blanc et pas la droite parce qu’il est pauvre.