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Papier de Pascal Bruckner, romancier

Il y a quelque temps, j’étais invité en Corse à un colloque de scientifiques et de philosophes sur le thème : Penser l’avenir. Sujet passionnant s’il en est ; pourtant à l’exception de deux ou trois participants, la majorité des physiciens, astrophysiciens, économistes, sociologues présents déclinèrent une vision très sombre du futur. Crise financière probable, pénurie d’eau,de céréales, guerres innombrables, effondrement généralisé des éco-systèmes, pas un poncif du catastrophisme contemporain ne nous fut épargné. Il se trouve qu’un mois auparavant je m’étais rendu à San Francisco, convié par un think tank environnementaliste, Breakthrough, pour réfléchir ensemble sur la notion schumpétérienne de “création destructrice”. […]

Et j’ai retenu la réflexion que m’a faite Michael Schellenberger, l’organisateur (avec Ted Nordhaus) de cet événement :

Les deux plus grandes chances des Etats-Unis en ce moment s’appellent le gaz de schiste et les 11 millions d’immigrés que nous allons régulariser. Onze millions de cerveaux qui vont irriguer et renouveler notre pays.

Hebergeur d'imageRéflexion impensable dans une France qui a interdit non seulement l’exploitation mais aussi l’exploration des éventuelles réserves de gaz naturel ou de gaz de schiste et qui voit tout étranger sur son sol comme un ennemi potentiel. Avec le recul je suis tenté de voir dans cette double expérience un symbole significatif : le défaitisme français d’un côté, le dynamisme américain de l’autre. Comment s’étonner alors que depuis dix ans notre pays connaisse un phénomène d’émigration massive, que presque deux millions de Français aient choisi de s’expatrier plutôt que de végéter dans l’Hexagone ? Ils partent en Chine,en Inde, en Australie, aux USA, au Canada, dans les Emirats arabes, au Brésil, en Colombie, en Afrique du Sud, partout où leur talent et leurs compétences seront reconnues et récompensées. Pourquoi cette hémorragie, nouvelle dans notre histoire.

L’envie de lever l’ancre vient d’un phénomène tout simple : la comparaison. Les étudiants s’informent et réalisent qu’ailleurs les blocages disparaissent,les opportunités se multiplient. Mieux encore on assiste à un phénomène qu’on pourrait appeler l’inversion coloniale : de la même façon que les Espagnols partent en Amérique latine ou au Maroc pour travailler, les Portugais en Angola et en Mozambique, les Français commencent à partir pour le Maghreb ou l’Afrique sub-saharienne, dans des pays où l’énergie et l’appétit d’innover semblent plus substantiel que chez nous. Beaucoup de ces jeunes gens ne souhaitent pas revenir et semblent prêts à s’enraciner ailleurs définitivement. L’ambiance négative qui règne ici les rebute. […]

Notre douce nation est devenue spécialiste d’un art difficile : elle exporte ses riches et ses cerveaux, elle importe les pauvres du monde entier. Equation délicate dont je ne suis pas sûr qu’elle soit rentable à long terme. […]

Les Français ont peur du monde, peur de la pauvreté, peur des autres, de la mondialisation, de l’Islam, du capitalisme, du réchauffement climatique,des catastrophes naturelles et plus encore peur de leur peur qui se propage parmi eux à la vitesse de l’éclair. […]

La France étouffait jadis dans des frontières trop étroites, elle souffre désormais de nanisme dans un monde trop vaste. Plus notre envergure internationale diminue, plus l’étranger devient source d’inquiétudes : c’est de lui que viennent tous les dangers, concurrence déloyale, mafias, délocalisations, épidémies. Le fantasme qui travaille la France en ce début de XXI° siècle n’est pas celui de l’expansion mais de la rétraction. […]

A l’ère des patriotismes aléatoires, c’est à une nation de retenir ses enfants, non à eux de lui manifester un attachement irréductible. […]

Huffington Post

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