Sous forme de lettre adressée à ses confrères « chômeurs ou chômeurs en activité réduite», la journaliste Ariane Dollfus explique, à travers son expérience, comment Pôle Emploi est une machine à dissuader de travailler.
Cher confrère «chômeur en activité réduite»,
Je t’écris parce que même si je ne te connais pas, je sais ce que tu vis. Je suis dans ton cas. Comme moi, tu as été licencié économique, parce que ton entreprise a connu la crise, et a dû se résoudre à un plan social. Mais comme moi, tu ne t’es pas laissé abattre. Tu as droit à 24 mois d’indemnisation chômage (ce qui va très vite) parce que tu as suffisamment cotisé, mais tu ne «chômes» pas en attendant le virement mensuel de Pôle Emploi. Car tu continues à trouver du travail. Coûte que coûte. A enchaîner les contrats courts, les piges, les commandes d’écriture qui ne font pas l’objet d’un CDI, spécimen désormais en voie d’extinction. Tu fais donc partie des 1,594 million de «chômeurs en activité réduite» en décembre 2013 (catégories B et C), et tu as sûrement découvert comme moi à quel point Pôle Emploi est une machine à dissuader le travail. Ce n’est la faute de personne, si ce n’est celle du système, archaïque, complexe, contre-productif malgré lui, et nécessitant une réforme urgente, à l’épreuve ces jours-ci.
La langue française dénigre la personne qui a perdu son emploi. Elle devient « chômeuse ». Du bas latin, « caumare », « se reposer pendant la chaleur ».
Mais rentrons dans le détail de notre quotidien. Comme tu te bats pour travailler, tu as fourni une activité régulière. Malheureux que tu es! Car en déclarant presque à chaque fois une activité -même peu lucrative- lors de ton actualisation mensuelle à Pôle Emploi, tu as fini par épuiser ton quota maximal de mois à l’issue desquels Pôle Emploi va compenser le différentiel existant entre les revenus que tu as touchés et le montant de ton indemnisation mensuelle. Ce quota est de quinze mois. Si, pour la seizième fois, tu as osé déclarer un travail, qu’il t’ait rapporté 100, 1 000 ou 5 000 euros, Pôle Emploi ne te versera plus de différentiel. Tant pis pour toi. Il ne fallait pas travailler. Ou plutôt si: il t’aurait fallu faire de «petits arrangements avec vos employeurs» comme le confient des conseillers Pôle Emploi compréhensifs et intelligents.
Et ils sont nombreux, ces conseillers engagés et enthousiastes, qui prennent le temps de la pédagogie, qui montent des formations internes, des ateliers constructifs et utiles. Et qui pestent contre le système interne. Mais tout le monde, à Pôle Emploi, n’a pas ce sens du pragmatisme et du dévouement. Un rapide appel au 3949 t’a peut-être donné l’opportunité d’entendre une aimable «conseillère» te dire: «Mais enfin, vous n’avez pas encore compris le principe des quinze mois? A partir de maintenant, vous ne devez plus travailler, est-ce clair?». Non, ce n’est pas clair. Comment se fait-il que les règles psychorigides et archaïques de Pôle Emploi ne stimulent pas le «retour à l’emploi» comme il est pourtant rappelé dans toutes les notes administratives ?
Et pourquoi ce couperet des quinze mois ne fait-il pas partie des propositions de réforme du régime d’activité réduite que vient de faire le patronat à travers son projet d’accord national interprofessionnel? Lorsqu’on leur demande les raisons de cet absurde quota de quinze mois, des salariés de Pôle Emploi vous répondront en soupirant que la règle est ancienne, et qu’elle partait du principe que quinze contrats, c’était une bonne voie vers la sortie du chômage…. Heureux temps où l’on voyait la sortie du tunnel du chômage!
Mais il y a plus absurde encore et résolument kafkaïen: la manière de déclarer son activité réduite à Pôle Emploi. Cette dernière ne regarde sur la fiche de paie que la date du travail effectif. Par exemple, sur une fiche de paie du mois de mars comportant le paiement d’un travail effectué en janvier, elle prendra en compte le mois de janvier et non le mois de mars. Aussi, au lieu de déduire cette somme de l’indemnisation de chômage versée pour mars et qui serait alors concomitante avec le salaire effectivement perçu, Pôle emploi demandera, au cas où cette activité n’aura pas été déclarée en janvier – faute d’en connaître le montant-, de restituer l’indemnisation de janvier! Voilà pourquoi il existe d’innombrables cas de restitutions d’allocations, qui encombrent les tuyaux administratifs de Pôle Emploi, alors qu’il suffirait de rendre la règle plus logique… Et surtout plus juste.
Car cela signifie que l’on demande au «chômeur qui n’a pas chômé» -lorsqu’il s’actualise à la fin du mois de faire une avance sur un salaire non encore perçu… Bref, ami «chômeur», tu as dû remarquer comme moi, que le système est tel qu’il n’incite qu’à une chose: chômer…
D’ailleurs, je suis sûre qu’il est un mot que tu ne supportes plus, c’est celui de chômeur. Tu as remarqué comme moi, à quel point la langue française dénigre la personne qui a perdu son emploi. Elle devient «chômeuse». Du bas latin, «caumare», «se reposer pendant la chaleur». Chez nos voisins, on ne te traitera pas ainsi. Anglais, tu serais «an unemployed person». Allemand, tu serais «arbeitslose». Pourquoi la France ne parlerait elle pas plutôt des «Sans Emploi»? Qu’un «chômeur» devienne un «sans emploi», et déjà, la société française le regardera différemment… Et pourquoi diable, doit-on être «demandeur d’emploi» ? Moi, je ne demande pas du travail, j’offre ma capacité de travail. C’est différent! Je ne suis pas une «demandeuse d’emploi», mais une «chercheuse» d’emploi. Et pour le trouver… je ne chôme pas.
Le Figaro