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Une récente étude, publiée puis retirée de la circulation, tempère l’intérêt de “l’approche globale”, nouveau dispositif de sécurité défendu par le gouvernement.

En réalisant une étude sur “l’approche globale”, le chercheur et officier retraité Serge Supersac ne pensait pas que son travail ferait autant de vagues. Et finirait au fond d’un tiroir de la préfecture des Bouches-du-Rhône. “Ce rapport est aujourd’hui secret, regrette son auteur. On m’a demandé d’aller sur le terrain et de voir ce que les habitants pensaient de ce dispositif. J’ai répondu honnêtement. Je ne suis pas là pour flatter le préfet.”
Lancée en décembre 2012 par le préfet de police Jean-Paul Bonnetain, ce nouveau concept sécuritaire doit permettre de reconquérir trente-neuf cités marseillaises pour notamment y combattre le trafic de stupéfiants. La méthode qui consiste à intensifier l’action policière pendant plusieurs semaines pour ensuite faciliter le travail d’autres intervenants tels que les services sociaux, a dores et déjà été testée dans trente-trois ensembles. De quoi en tirer un premier bilan. C’est ainsi qu’en octobre 2013, le préfet de police décide de missionner Serge Supersac pour observer l’impact de “l’approche globale” sur la population à l’échelle d’un quartier, celui de Frais Vallon, situé dans le 13e arrondissement. Mais voilà que ses conclusions, rendues le 20 décembre, remettent en question la “réussite” de ce dispositif, pourtant jugé “innovant” et “spécifique” par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, lors de sa dernière visite à Marseille.
Serge Supersac a ainsi pu constater, sur le terrain, l’adaptation quasi-instantanée du réseau [de drogue] au nouveau système de surveillance”. “C’est au mieux la suspension momentanée de la vente ou au pire le déport de l’activité qui se réalise”, écrit le chercheur. Pire, il observe que “la pression qui peut s’exercer sur les habitants peut être consécutive à l’action des forces de sécurité” car c’est le moment où “les membres du réseau deviennent nerveux et où les habitants peuvent pâtir du point de ‘deal’”. L’ancien officier raconte alors comment, après l’incarcération d’un gérant, son remplaçant a diminué le nombre de guetteurs pour faire des économies et décidé de verrouiller les portes des escaliers, mettant ainsi en danger la vie des locataires, en cas de sinistre.
Le rapport, posté en janvier sur le site de l’ORDCS, a finalement dû être retiré il y a deux semaines suite à un appel de la préfecture. Contactée par la rédaction, l’institution remet en question l’objectivité de Serge Supersac. “L’étude produite comportait essentiellement son propre avis sur la façon d’organiser la police marseillaise, et quasiment pas d’éléments objectifs, chiffrés et argumentés sur l’impact de l’approche globale auprès des résidents de ce quartier”, répondent les services de la préfecture qui ont, d’ailleurs, décidé de commander un second travail d’évaluation, réalisé, cette fois-ci, “par une ou plusieurs entités neutres et complètement extérieures au périmètre policier”.
Concernant la présence de la police dans le quartier, Serge Supersac note que les habitants l’ont “plutôt bien accueillie” mais constate que “le regard policier se porte plus sur la gestion de l’interdit que sur la prise en compte des difficultés liées à la tranquillité publique”. Et de rappeler que “nombre d’effectifs ne répondent plus aux réquisitions du 17 Police secours”. L’ancien officier dénonce ainsi un manque de communication entre la police et les habitants de Frais Vallon. “Pour (eux), les policiers sont des fonctionnaires utiles que l’on aime voir car c’est la reconnaissance que l’état s’occupe des quartiers mais il est plus difficile de comprendre leur action. Ils sont là pour aider mais en même temps personne ne leur parle et ils ne parlent à personne d’autres que les gens qu’ils contrôlent”, observe-t-il. Quant aux unités de CRS, postées aux entrées du quartier, selon lui, “elles ne servent à rien”. “Les compagnies ne servent que d’épouvantail. Elles sont sous-employées. Il pourrait leur être imposé de faire du renseignement opérationnel”, préconise celui qui a dirigé une compagnie de CRS en Seine-Saint-Denis.
Sur la relation entre habitants et acteurs du “deal”, le chercheur constate que le trafic fait depuis longtemps partie de la vie du quartier. Au point, qu’un “charbonneur” (celui qui vend la drogue) s’est déjà vu délégué, par un gardien, la propreté d’un couloir et que les “choufs” (ceux qui guettent) aident régulièrement les mères de famille à monter leurs courses. D’ailleurs, selon le rapport, pour le commissariat du quartier, si ce n’est la préoccupation du trafic de stupéfiants, Frais Vallon n’est pas réputé pour sa violence. “Les membres du trafic sont soucieux d’un bon voisinage avec les habitants mais j’ai conscience que ce n’est pas partout pareil”, précise Serge Supersac…
Du côté de la mairie, le discours n’est pas vraiment optimiste. “L’approche globale, c’est beaucoup d’énergie déployée pour peu de résultats, lance Caroline Pozmentier, adjointe au maire déléguée la sécurité et à la prévention. Aujourd’hui, l’action policière est ponctuelle. On nous le dit, on le voit, les trafics se réorganisent quand les policiers partent”. Et sur le sentiment de la population, l’adjointe dit: “le citoyen veut qu’on se rapproche de lui mais de façon permanente, pas au coup par coup”.
Mais alors comment agir pour combattre efficacement le trafic de stupéfiants? Serge Supersac va à contre-courant des politiques actuelles et préconise de déplacer la pression sur les clients qui “parfaitement intégrés ont plus à craindre de leur identification ‘officielle’ que les dealers récidivistes” pour qui la prison est de plus en plus vécue comme “un rite initiatique”. Et, donc répertorier les usagers réguliers, évalués à 15.000 à Marseille, afin de les dissuader et les inciter aux soins.
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