Analyse de Sylvain Crépon, docteur en sociologie
Le contexte électoral
Dans le cadre de la campagne pour les municipales, dire qu’Hénin-Beaumont constitue une ville symbole est devenu un truisme. C’est d’abord la ville où est venue s’implanter Marine Le Pen, celle où la nouvelle présidente du parti frontiste a conquis sa légitimité politique. Aux élections législatives de 2007, elle est la seule candidate de son parti à accéder au second tour.
Alors que le Front national est en déroute partout ailleurs, cette prouesse contribue à affaiblir ceux de son parti qui voient d’un mauvais œil l’ascension de la “fifille du chef”. Femme de terrain hors pair, c’est dans cette ville de 28 000 habitants qu’elle conquiert les premiers galons dont elle pourra se prévaloir dans la guerre de succession interne qui aboutira à son intronisation à la tête du parti.
Le choix de Jean-Luc Mélenchon de venir la défier aux élections législatives de 2012 dans l’ancien bassin minier, terre de la gauche ouvrière, en lui promettant un combat “homérique”, a contribué à focaliser l’attention médiatique sur Hénin-Beaumont. La nouvelle présidente frontiste n’en espérait sans doute pas tant. Elle accède alors facilement au second tour et, avec 48,89 % des voix, améliore nettement son score de 2007 (41,65 %), manquant le siège de député d’une toute petite centaine de voix. En arrivant systématiquement au second tour des élections municipales et législatives depuis les années 2000, de surcroît dans une configuration de duel avec la gauche, le Front national est parvenu à constituer à Hénin-Beaumont un rapport de force électoral inédit qu’il aimerait pouvoir déployer dans le reste du pays.
Un homme et sa ville
Mais l’histoire des succès du Front national à Hénin-Beaumont est avant tout celle d’un homme. Ancien commercial, petit-fils d’un mineur cégétiste qui votait à droite, Steeve Briois a contribué plus que tout autre à faire de Hénin-Beaumont la ville phare du parti frontiste. A partir de techniques militantes ouvertement inspirées du communisme municipal, le jeune quadragénaire est parvenu à constituer en l’espace de vingt ans un maillage militant que même ses plus ardents opposants de gauche avouent admirer.
Travailleur infatigable et déterminé (ses amis disent de lui qu’il travaille même les 25 décembre et 1er janvier), il ne cesse de répéter que les élections se gagnent en dehors des périodes électorales à la faveur d’une omniprésence sur le terrain. Sa personnalité réservée, voire timide, à mille lieues de la posture martiale affichée par nombre de responsables frontistes, a sans doute contribué à apaiser les réticences de ceux qui, tout en partageant certaines de ses idées, continuent de nourrir quelques craintes à l’égard du FN.
C’est lui qui a proposé à Marine Le Pen de venir s’implanter sur ses terres. Le deal est clair dès le départ : à Marine la circonscription législative et la dynamique médiatique, à Steeve la mairie et le labourage besogneux du terrain. Le duo n’a depuis lors cessé de montré sa redoutable efficacité. […]