Alors que les dirigeants européens viennent seulement de prendre conscience de la marginalisation de plus en plus grande des jeunes actifs, un nouveau désastre social est en train d’émerger : les actifs d’âge mûr vont être les prochains laissés pour compte du progrès technologique et de la mondialisation. Ce constat, c’est celui que fait Edoardo Campanella, un économiste de la Kennedy School de l’Université de Harvard qui a également travaillé pour l’Organisation Mondiale du Commerce et conseillé le Sénat italien.
Jusqu’à présent, les gens d’âge moyen ont été les grands gagnants du système. Ils bénéficient de contrats de travail stables, ils font partie du groupe social qui influence le plus les politiciens, et ils sont moins vulnérables aux crises économiques que leurs ainés « seniors ».
D’autres facteurs, tels que les droits de douane élevés, les avantages accordés en fonction de l’âge, et les clauses qui limitent les possibilités de recours au licenciement leur ont même permis de conserver des emplois qui sont par nature condamnés à disparaître.
En contrepartie, cette situation a favorisé la marginalisation des plus jeunes actifs. Selon l’OCDE, entre 2008 à 2012, le taux de chômage des Européens âgés de 45 à 54 ans n’a progressé « que » de 5,2% à 7,7%, alors que le taux de chômage des jeunes est passé de 15% à 21,4%.
Mais la concurrence provenant des pays émergents et les progrès technologiques sont en train de changer la donne, affirme l’économiste.
Il explique que les industries traditionnelles qui employaient les travailleurs dans la force de l’âge sont de plus en plus souvent délocalisées hors d’Europe, et que les entreprises qui les remplacent sont souvent des entreprises jeunes, à l’exemple des startups du secteur de la technologie où la majorité des employés a moins de 40 ans. Selon l’institut McKinsey, 12 inventions récentes sont appelées à refaçonner nos économies : l’internet mobile, l’automatisation du travail intellectuel, l’Internet des objets, le cloud (informatique en nuage), la robotique avancée, les véhicules sans conducteur, la génomique de nouvelle génération, le stockage de l’énergie, l’impression 3D, les matériaux avancés, l’exploration et les forages avancés et les énergies renouvelables.
Ces innovations vont créer des opportunités d’emploi pour travailleurs les plus jeunes, et d’un autre côté, elles vont rendre les compétences de certains employés d’âge mûr obsolètes, et écarter ces travailleurs du marché du travail. En effet, les travailleurs les plus âgés ont plus de difficultés à apprendre les nouvelles compétences demandées ; ils sont aussi moins mobiles, et plus réticents à accepter de prendre les risques inhérents à la création d’entreprise.
L’Europe, avec ses populations vieillissantes, est particulièrement concernée par ce phénomène, d’autant que ses travailleurs, habitués à des systèmes de protection sociale généreux, auront plus de mal à accepter ces nouvelles contraintes, précise Campanella. Les pays de la périphérie, qui ont souvent des secteurs publics pléthoriques qu’ils sont maintenant contraints de réduire, seront ceux où son impact sera le plus fort, car une grande partie des fonctionnaires ont plus de 40 ans. De plus, l’incapacité des Etats membres de l’euro à pouvoir dévaluer leur monnaie pour regagner de la compétitivité sur les secteurs industriels menacés risque d’aggraver cette évolution.
L’accélération du progrès et des changements qu’il induit signifie qu’il sera de plus en plus difficile pour le législateur d’adopter simultanément les réformes structurelles nécessaires pour adapter le pays. En outre, les pays de la zone euro ne disposent pas des leviers monétaires ou fiscaux qui faciliteraient cette transition.
Campanella prédit qu’il en résultera de l’instabilité sociale, parce que les travailleurs dans la force de l’âge seront poussés dans une « trappe de l’âge moyen » : ils seront trop vieux pour trouver du travail, mais trop jeunes pour partir en retraite, ce qui les poussera à se faire défendre par les syndicats. Ils s’opposeront ainsi aux jeunes, qui voudront défendre ce système qui leur convient, et cette polarisation pourrait remettre en cause la cohésion sociale.
Pour l’éviter, les politiciens européens devraient :
✔ Développer la formation continue pour tous ;
✔ Développer des partenariats entre les secteurs privé et public ;
✔ Permettre que les salaires puissent baisser avec l’âge du travailleur pour tenir compte de l’obsolescence croissante de ses qualifications, et développer son attractivité ;
✔ Redéfinir le contrat social de l’Europe, pour promouvoir la solidarité intergénérationnelle et créer un système capable de fusionner la créativité des jeunes avec la sagesse des personnes d’âge mûr.