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Brèves, plus ou moins fournies, les manifestations se multiplient en Algérie. Après le rassemblement de plusieurs partis décidés à boycotter l’élection présidentielle du 17 avril, ce devait être au tour, jeudi 13 mars, d’universitaires et d’intellectuels de se réunir à la faculté de Bouzareah à Alger à l’appel du collectif « Un autre avenir pour l’Algérie ». Le 15 mars, le mouvement Barakat (« Ça suffit ») organise de son côté un nouveau sit-in devant la faculté centrale de la capitale. Ces initiatives ont pour trait commun le rejet d’un quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, 77 ans, malade, au pouvoir depuis 1999 et candidat à sa succession. Une contestation électorale inédite jusqu’ici.

Mercredi, cernées et même bousculées par un important dispositif policier, des personnalités politiques se sont ainsi réunies à proximité du monument aux Martyrs d’Alger.

Côte à côte, entourés de partisans au demeurant assez peu nombreux, Mohcène Belabbès, secrétaire général du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, d’origine kabyle), Abderrazak Mokri, chef du Mouvement social pour la paix (MSP, première formation islamiste issue des Frères musulmans), Mohamed Douibi, représentant d’Ennahda (islamiste), et deux candidats à l’élection présidentielle qui ont préféré se retirer de la compétition, Soufiane Djilali et l’ancien premier ministre Ahmed Benbitour, ont appelé à une coordination « de tous ceux qui refusent le fait accompli ».

MEETING COMMUN

D’autres les ont rejoints comme Abdallah Djaballah, le président du Front de la justice et du développement (FJD, islamiste), ou le général à la retraite Mohamed Tahar Yala, qui ne cesse de réclamer à travers les médias « l’interruption du processus électoral ». Tous ont confirmé leur intention de tenir un meeting commun dans une salle d’Alger le 21 mars, à la veille de l’ouverture officielle de la campagne, malgré l’interdiction lancée par le ministère de l’intérieur d’utiliser des lieux publics pour ceux qui ne participeront pas au scrutin.

C’est en tout cas une image nouvelle en Algérie, qui mêle islamistes, hommes de gauche et personnalités dans un même mouvement de protestation. Seul le Front des forces socialistes (FFS), le plus vieux parti d’opposition, se tient à l’écart. Ni participation, ni boycottage, a tranché le FFS, pour qui le scrutin du 17 avril « n’est décisif que pour le système » en place.

Tout aussi rare est l’appel d’universitaires qui dénoncent dans un texte commun « un système finissant qui a acheté, achète et achètera la paix sociale en dilapidant les profits de la rente pétrolière afin d’endormir et contrôler les Algériens » et ont l’intention, à leur tour, de se réunir dans la rue jeudi.

« SURSAUT ET COLÈRE »

Pour la troisième fois depuis une première manifestation organisée le 1er mars, Barakat a également choisi de se rassembler samedi devant une université – un message « pour souligner que c’est l’Algérie du mérite qui doit voir le jour » selon Amira Bouraoui. Agée de 38 ans, cette gynécologue est apparue en première ligne d’un mouvement né, selon elle, « d’un sursaut et d’une colère ». « Ces élections sont la continuité d’un système révolu d’une génération qui pense que, parce qu’elle a libéré le pays, l’Algérie lui appartient, justifie-t-elle Nous n’avons jamais eu le droit à la citoyenneté, de choisir notre président, au respect de notre Constitution, au droit tout simplement de vivre dans la dignité. »

Des chefs de parti appelant au boycott de l’élection présidentielle aux prises avec les forces de l’ordre, le 12 mars à Alger.

Créé le 22 février par une poignée de personnes, souvent liées par les réseaux sociaux, Barakat a grossi. Le nom adopté par le groupe ne doit rien au hasard : il fait référence au slogan scandé par la foule lors de la crise violente de l’été 1962 entre le pouvoir civil, incarné par le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), et l’armée des frontières ; il renvoie aussi au collectif créé en 2004 contre le code de la famille promulgué vingt ans plus tôt. Cette fois, Barakat se veut un mouvement citoyen de contestation politique. Des t-shirts « Non au 4e mandat » ont été imprimés en arabe et en français, et bientôt en anglais : « No, you can’t ».

Le 10 mars, réunis dans l’appartement algérois d’une militante, ses initiateurs ont rédigé une plate-forme pour réclamer l’instauration d’une période de transition et une nouvelle Constitution « dans l’objectif de créer une IIe République ». « Nous ne voulons pas d’une révolution arabe, nous voulons une révolution algérienne pacifique », précise Amira Bouraoui.

« NOUS SOMMES TROP ENDORMIS »

Pour le journaliste et écrivain Moustapha Benfofil, membre fondateur du mouvement, « l’Algérie n’est pas la Tunisie de Ben Ali, nous pouvons nous exprimer mais nous nous sommes trop endormis. Le régime a trop longtemps compté pour se maintenir sur le traumatisme du terrorisme et maintenant sur la peur du printemps arabe ». Parfois désigné comme un mouvement élitiste, le collectif s’en défend. « Il y a de tout, des chômeurs, des jeunes, des retraités, des femmes au foyer, nous sommes tout sauf un mouvement intellectuel », assure M. Benfodil.

S’il essaime dorénavant dans plusieurs régions, Barakat reste cependant minoritaire et doit faire face à la présence constante de policiers à chaque sortie. « En dix jours, j’ai fait quatre commissariats, soupire Amira Bouraoui. Les interpellations sont violentes, mais une fois au commissariat, nous sommes bien traités. »

Entre le 1er et le 6 mars, lors des premiers regroupements organisés à Alger, la police a interpellé 264 personnes, dont 30 journalistes, selon le chef du centre des opérations de la Direction générale de la sécurité nationale, le commissaire Mohammed Adjouadi, cité par l’agence algérienne APS. Plus inquiétant : tandis que les partisans du président Bouteflika se font de plus en plus entendre, une chaîne de télévision satellitaire privée, Al-Atlas TV, a cessé d’émettre mercredi après une perquisition des gendarmes dans ses locaux et la saisie de caméras. « Le pouvoir en place a décidé de nous faire taire », s’est indignée, dans un communiqué, la direction d’Al-Atlas TV, dont le signal est capté depuis la Jordanie.

Nouveaux heurts à Ghardaïa

De nouveaux heurts ont opposé mercredi 12 mars des Mozabites (Berbères musulmans de rite ibadite) et des Arabes dominés par la tribu des Chaambas, à Ghardaïa, une ville située à 600 km au sud d’Alger aux portes du Sahara.

Ces affrontements qui se sont propagés dans au moins quatre quartiers auraient fait de nombreux blessés. Mardi, seize collégiens avaient été blessés à la sortie de leur établissement. Depuis décembre 2013, Ghardaïa est le théâtre de violents heurts entre les deux communautés. En février, ils avaient provoqué la mort de quatre Mozabites et fait plus de 200 blessés. Un important dispositif de policiers et de gendarmes avait alors été déployé, ramenant un calme précaire.

Le Monde

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