De récentes études ont montré que l’Antarctique regorge de formidables ressources en hydrocarbures. L’étude Lown Institute estime à 203 milliards de barils de pétrole les réserves de la région. Au vue de la raréfaction des hydrocarbures sur la planète et de l’augmentation constante des prix, on peut se demander quels sont les enjeux énergétiques émergents dans cette région du monde ?
Par Philippe SAMBUSSY
C’est au cours de la guerre froide qu’est signé le traité sur l’Antarctique pour éviter l’installation d’armes nucléaires et de bases militaires. En 1959, 12 États faisaient partie de l’organisation. Aujourd’hui 50 ont adhéré au traité. L’Antarctique a le statut de “zone de paix”. Le territoire est réservé uniquement aux recheches scientifiques. Les revendications historiques des terres (par l’Argentine, l’Australie, la France, la Grande-Bretagne, la Norvège et la Nouvelle-Zélande) sont gelées par le traité.
De plus, la convention de Madrid de 1991 et le consensus d’interdiction de toute activité minière de 1998 interdisent jusqu’en 2048 l’exploitation du sous-sol de l’Antarctique. A l’échéance toute demande d’exploitation par un État signataire ou non du traité, devra être prise en compte et sera soumise à la majorité des trois-quarts des nations de l’organisation qui ont le droit de vote. Pour veiller à ce que les dispositions du Traité sur l’Antarctique soient tenues, les États parties ont le devoir de se tenir mutuellement au courant de leurs activités en Antarctique et de faciliter les inspections par les autres États de leurs installations.
D’autre part, les résultats des recherches scientifiques doivent être partagées entre les États.
En 2013, Michel Rocard, chargé des affaires de l’Antarctique, a prévenu que« les besoins pétroliers menacent le traité ». Malgrè les coûts élevés que représenteraient l’exploitation du pétrole dans cette région du monde, l’activité deviendra rentable dans les années a venir. Plusieurs pays sont déjà actifs dans cette conquête de l’or noir grâce à des investissements importants, des volontés de contrôler le territoire, des recherches scientifiques ciblées et des alliances politiques.
Les plus gros investisseurs sur le territoire sont les États-Unis avec 330 millions de dollars de budget par an pour la recherche scientifique. Ils sont aujourd’hui un acteur incontournable de l’Antarctique. Leur programme est axé autour de trois stations de recherche. Ils utilisent notamment l’US Air-Force pour la logistique ce qui leur permet d’avoir une présence militaire tout en respectant le traité.
Mais l’acteur le plus déterminé est sans nul doute la Russie.
Lors du meeting de Buenos Aires en juin 2011, les autorités russes ont déclaré vouloir « renforcer la capacité économique de la Russie grâce à l’utilisation de ressources biologiques […] et aux investigations complexes portant sur les ressources minérales, en hydrocarbures et autres ressources naturelles de l’Antarctique » d’ici 2020. Bien que cette déclaration de la stratégie russe se trouve sur le site officiel du traité de l’Antarctique, il n’y a pas eu de réaction de la communauté internationale, ni même des États-Unis.La Russie a alloué 1,5 milliard d’euros à son projet pour remplir son objectif 2020. Ils comptent construire plusieurs navires, avions, bases saisonnières et mettre en place des stations supplémentaires du système GLONASS, concurrent du système américain NAVSTAR.
Bien entendu la Russie n’est pas la seule a avoir une stratégie offensive en Antarctique notamment en matière de contrôle de territoire. Malgré des investissement encore faibles, les activités sur le territoire blanc de la Chine sont également en hausse.
Les autorités chinoises ont indiqué que les objectifs de la Chine en Antarctique sont d’assurer un plus grand leadership ainsi que de déterminer les ressources potentielles et la façon d’utiliser ces ressources.
Ils investissent notamment dans un navire brise-glace, des hydravions et des hélicoptères pour effectuer des recherches et la Chine a aussi installé une station scientifique portant l’inscription « Welcome to China » sur un territoire revendiqué par l’Australie. Ce message explicite montre bien la volonté de la Chine à s’insérer au long terme sur ce territoire sans prendre en compte les revendications de l’Australie.
Concernant la France, il est intéressant de constater que l’étude du CESM (centre d’études supérieurs de la marine) préconise de continuer à agir en État souverain sur la Terre Adélie en 2048 lorsque le traité de l’Antarctique sera caduc. De plus,
la France souhaite continuer la recherche fondamentale dans la perspective d’extraction de matières premières.
Au sujet de l’Australie, le rapport Lown Institute, rédigé sous la direction du Premier ministre, énonce clairement la prise de conscience de l’inévitable exploitation des ressources de l’Antarctique. Il est donc stratégique pour leur pays de s’implanter durablement et de développer des consultations diplomatiques avec les États qui réclament des territoires afin d’avoir une position unifiée pour faire face aux futures pressions internationales.
De plus les activités scientifiques russes en Antarctique ces dernières années sont susceptibles de servir à l’exploitation d’hydrocarbures. Ils sont les premiers à avoir effectué un forage de 3,768 mètres de profondeur à Vostok sous la glace pour atteindre un lac à des fins scientifiques. Ce forage, débuté en 1989, fut interrompu en 1990 à cause de l’effondrement de l’URSS puis a repris en 1996. L’activité de forage essuya de nombreuses critiques dues à l’utilisation de kérosène pour empêcher le trou dans la glace de se refermer. Les Russes développèrent alors un lubrifiant pour ne pas polluer le lac. Ce défi technologique réalisé grâce à l’institut minier de Saint-Pétersbourg est une fierté nationale et prouve au reste du monde qu’ils sont capables d’effectuer des forage « non polluant » à de très grandes profondeurs.
Un point intéressant est soulevé par Yves Frenot (président du Comité pour la protection de l’environnement en Antarctique) après la révélation de l’utilisation de kérosène qui constate qu’«en poursuivant leur forage jusqu’à la surface du lac Vostok, les Russes n’ont enfreint aucune réglementation internationale ». De surcroît, le protocole de Madrid ne prévoit aucun contrôle de l’activité sur place.
Sur le plan politique, suite à sa proposition de novembre 2011, Vladimir Poutine a promulgué le 9 juin 2012 une loi qui crée un cadre légal précis pour réglementer d’éventuelles activités d’exploitations souterraines dans l’Antarctique. C’est une première pierre qui facilitera l’entrée de Gazprom et Lukoil si la Russie souhaite exploiter les ressources du territoire.
Plus récemment encore dans l’actualité, la Russie et l’Ukraine se sont opposés le 16 juillet 2013 à l’adoption de deux propositions d’AMP (Aire Marine Protégée) dans la mer de Ross, située dans la mer Australe, au cours de la commission pour la conservation de la faune et de la flore marine de l’Antarctique (CCAMLR) à Bremerhaven. Ce dernier échec fait suite au non aboutissement des négociations tenues en Australie fin 2012. Si le projet des APM était accepté, alors toutes les recherches sur les hydrocarbures et leur exploitation seraient interdites. La conférence de la CCAMLR étudiera le 23 octobre à Hobart en Australie une nouvelle proposition. La difficulté à établir un consensus est en lien avec les ressources présumées de la mer de Ross qui regorgerait de pétrole. L’alliance politique entre la Russie et l’Ukraine pèse fortement dans les négociations. La prochaine commission prévoit de réduire par deux les tailles des AMP pour que la proposition soit acceptée.
Au fur et à mesure que la glace fond, le pétrole anciennement inatteignable et cher à exploiter devient rentable. Il apparaît évident qu’une montée des tensions en Antarctique autour des ressources en hydrocarbures se profile.
Le traité de l’Antarctique est aujourd’hui fragile puisqu’il n’est pas rattaché à une institution supranationale et que par conséquent il n’y a pas de pouvoir de sanction juridique en cas de violation de ses règles.
Sa mise en œuvre ne repose que sur la bonne foi des États. La Cour Internationale de Justice est un recours prévu par le traité, mais celle-ci ne peut être saisie que si toutes les parties concernées y consentent.
Cependant il parait peu probable de croire qu’un pays prendra le risque d’entamer des exploitations en hydrocarbures sans avoir renforcé sa positon diplomatique, économique et militaire pour faire face aux réactions internationales.
Mais le traité pourrait bien être transgressé avant 2048 étant donné la divergence des intérêts énergétiques en présence. Michel Rocard, ambassadeur de France pour les pôles, souhaite dans l’optique de la protection environnementale réunir le plus de signataires possible pour la convention de Madrid. Il considère que « plus il y aura de membres et plus il y aura d’États préoccupés par les impacts des changements climatiques et moins il sera possible de trouver une majorité d’États intéressés à la ressource et capable de l’exploiter ». En effet, seul 34 États ont signé la convention alors que 193 pays siègent à l’ONU.
Bibliographie :
http://lowyinstitute.org/files/pubfiles/Fogarty%2C_Antarctica_web.pdf
http://www.ats.aq
http://geopolis.francetvinfo.fr/la-conquete-de-lantarctique-se-poursuit-a-vitesse- grand-v-8575
http://meteorf.ru/press/official/151/?sphrase_id=7180
http://fr.ria.ru/russia/20101108/187813225.html
http://fr.ria.ru/analysis/20070301/61420367.html
http://www.lepoint.fr/science/lac-de-vostok-nous-sommes-obliges-de-croire-les- russes-sur-parole-10-02-2012-1430134_25.php
http://cpreview.org/2011/12/diplomacy-on-ice/ (spécialiste en politique internationale)
http://meteorf.ru/press/releases/173/?sphrase_id=7193
http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/07/17/la-russie-bloque-la-creation-d-aires-marines-protegees-en-antarctique_3448731_3244.html
http://www.ccamlr.org/fr/meetings/26
http://www.usap.gov/
https://www.comnap.aq
http://www.cesm.air.defense.gouv.fr/IMG/pdf/05_Antarctique.pdf
http://www.actu-environnement.com/ae/news/poles-rocard-energie-antarctique- lowie-13589.php4