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En pleine crise de Crimée, deux grands groupes allemands ont vendu une partie de leurs activités dans l’énergie aux géants russes Gazprom et Rosneft. Ils renforcent ainsi la dépendance énergétique de notre voisin par rapport à Moscou. Et décrédibilisent les menaces de sanctions…

Par Thomas Schnee

Pourquoi, au beau milieu de la crise de Crimée et alors que l’Union européenne prend conscience que sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie entrave gravement sa diplomatie, deux grandes entreprises allemandes se décident-elles à vendre une partie de leurs activités dans l’énergie à deux entreprises russes?

Il y a quelques jours, on apprenait ainsi que le n°2 allemand de l’énergie RWE vend sa florissante filiale d’exploitation pétrolière DEA à Rosneft.  


Peu de temps auparavant, un porte-parole de Wintershall (filiale du n°1 mondial de la chimie BASF) confirmait qu’un énorme contrat avait été signé entre sa société et Gazprom. Cette dernière garantit à Wintershall une participation confortable dans l’exploitation d’un immense champ gazier en Sibérie en échange de la reprise de 20% des infrastructures gazières allemandes ! On imagine bien que ces deux opérations stratégiques, qui ne vont pas diminuer la dépendance allemande, ont reçu l’aval de Berlin. Ce qui a de quoi déconcerter dans le contexte actuel.

Quelle stratégie poursuit vraiment l’Allemagne?

Interrogés par l’Expansion.com, plusieurs experts allemands s’accordent sur un point : “Au fond, il n’y a pas de forte volonté politique de développer l’indépendance énergétique du pays. Au contraire, la tendance est plutôt de continuer sur la voie de l’imbrication des économiques et russes et allemandes”, explique Ewald Böhlke, spécialiste de la Russie à la Société allemande pour la politique étrangère (DGAP).

“Depuis Helmut Kohl, l’un des fondamentaux de la politique étrangère allemande est le principe de la double intégration est-ouest.

Cette politique s’est renforcée sous Gerhard Schröder qui a suivi une vraie politique d’imbrication des intérêts économiques, particulièrement dans le domaine de l’énergie avec la construction du pipe-line germano-russe Nordstream. Cette ligne a ensuite été reprise par Mme Merkel.
Schröder est celui qui a livré l’Allemagne à Poutine.
Aujourd’hui, les deux économies sont effectivement très dépendantes, et pas seulement dans le secteur de l’énergie”, rappelle l’expert tout en précisant que si, pour beaucoup, Schröder est celui qui a “livré” l’Allemagne à Poutine (un ami personnel que l’ex-chancelier a jadis qualifié de “démocrate transparent”),

“il ne faut pas oublier d’analyser les choix de Schröder à la lumière de la stratégie d’abandon du nucléaire qui était basée sur l’utilisation massive du gaz en remplacement du nucléaire”.

Trop tard pour pour dire non à Gazprom?

Pour le chercheur Alexander Rahr, conseiller du Forum germano-russe, un puissant lobby qui réunit patrons et hommes politiques des deux pays, la question de l’indépendance énergétique serait même considérée par Berlin comme “insignifiante”:

“L’intégration de nos économies est telle que ce n’est plus une alternative. Il faut garder la tête froide, attendre que le choc soit passé et essayer de pas détruire ce qui a déjà été fait”. L’analyse est partagée par le patronat allemand qui considère toute politique de sanctions comme irresponsable et nuisible, et le fait savoir bruyamment.

Bien sûr, tous les Allemands ne sont pas de cet avis, tels les écologistes Rebecca Harms et Anton Hofreiter, respectivement tête de liste aux élections européennes et co-président du parti écologiste allemand : “La crise de la Crimée nous montre plus que clairement qu’une dépendance énergétique importante et unilatérale est dangereuse. Elle limite notre souveraineté et notre marge de manoeuvre politique”, constatent-ils dans un appel intitulé “Niet à Gazprom”. Ils rappellent que 36 % du gaz et 39 % du pétrole consommés outre-Rhin proviennent de Russie pour une facture annuelle d’environ 33 milliards d’euros : “Les gouvernements des capitales de l’UE doivent repenser leur stratégie, aussi au regard de l’escalade à l’est de l’Europe”, écrivent les deux écologistes. Ils appellent de leurs voeux la mise sur les rails d’une stratégie européenne d’indépendance énergétique qui ne consisterait pas, et c’est aussi l’une de leurs craintes principales, à un retour en force des énergies fossiles et du nucléaire.
lexpansion.lexpress.fr

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