Salarié payé en freelance, travail gratuit, période d’essai non rémunérée… En Espagne, les employeurs profitent allègrement de la désespérance des chômeurs. Florilège de ces annonces, de plus en plus nombreuses, qui prêteraient à sourire, si ce n’était à pleurer.
Entretien d’embauche au siège d’une maison d’édition allemande à Madrid:
Nous cherchons un journaliste pour se charger de la rédaction d’un magazine destiné aux enfants. Le salaire est de 1.200 euros bruts par mois. Vous devez être freelance, c’est à dire à votre compte. Les horaires seront de 9 à 17 heures du lundi au jeudi, et les vendredi de 9 h à 14 h. Ceci dit, les jours de bouclage, il faudra évidemment rester plus tard bien « …
Voici ce que l’on me proposait, il y a quelques mois, après une carrière de 14 ans comme journaliste en Espagne pour les plus importants groupes de presse du pays. Une offre abusive: un poste de rédacteur alors que gérer l’ensemble du contenu d’un magazine est plutôt responsabilité d’un rédacteur en chef, ceci sans que l’entreprise ne paye les charges sociales mais qui exige votre présence toute la semaine comme un employé. Le tout pour un salaire, après taxes, de 948 euros par mois.
Bienvenue sur le marché du travail espagnol. Les offres abusives y sont désormais monnaie courante. Et il y en a de bien pires que celle-là.
Il y a presque 10 ans, en 2005, le terme mileurista (celui dont le salaire ne dépasse pas 1.000 euros) apparaissait en Espagne, dans le quotidien El Pais, pour qualifier cette génération de jeunes Espagnols aux salaires misérables malgré des études universitaires.
De l’eau a coulé sous les ponts… Aujourd’hui, beaucoup de ces jeunes, mais aussi des quadras ou des quinquagénaires, aimeraient bien toucher un salaire de 1.000 euros! Avec la crise, la chute du marché immobilier et la réforme du marché de travail mise en œuvre par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy, les salaires ont considérablement chuté en Espagne. Les conditions de travail, elles, frôlent parfois l’esclavage.
Le premier à choper le billet a le job
Résultat, asphyxiés par le chômage (26% de la population) les Espagnols sont prêts à tout pour décrocher un job. C’est le cas de Clio Almansa: cette jeune femme de Mataró, en Catalogne, a postulé en octobre dernier à un poste de commerciale au sein de l’entreprise Ecoline 2010, spécialisée dans la vente d’aspirateurs. Lors de la sélection, l’employeur a réparti les postulants en trois groupes et leur a montré un billet de 50 euros:
Le billet fera partie du salaire de celui qui arrive à le prendre »,
a-t-il annoncé avant de le laisser tomber au sol. Clio a soudainement vu se jeter autour d’elle des candidats avides, du billet mais surtout du poste. Elle a reçu des coups dans les jambes, les bras, la tête… Résultat ? Lésion d’une vertèbre dorsale…
Les responsables n’ont même pas eu la décence d’appeler une ambulance alors que la jeune femme ne pouvait plus se lever. Finalement, c’est grâce à l’aide d’une amie qu’elle a pu se rendre à l’hôpital. Après un arrêt maladie de presque un an, elle vient de porter plainte contre l’entreprise, qui, entre temps, a changé de nom et d’adresse.
Si ma cliente ne s’était pas cassée une vertèbre, rien ne se serait passé. Les gens ne portent pas plainte d’habitude. Mais ma cliente l’a fait. En avril, nous aurons la date du procès et je pense que l’on peut gagner même s’il n’y a pas de jurisprudence »,
explique Daniel Salvador, avocat de la jeune Clio. L’aventure de Clio Almansa n’est pas une exception:
Il y a quelques jours, nous avons appris le cas d’un bar -et il ne s’agit pas d’une maison close mais d’un simple bar- où les serveuses sont habillées en lingerie. Côté légalité, il n’y a rien à faire ».
« Je ne peux pas te payer mais tu seras célèbre ! »
Récemment, un magasin proposait un poste de vendeuse avec période d’essai de 2 mois. Rien d’étrange si ce n’est que ces deux mois d’essai ne sont pas rémunérés:
Période d’essai de 2 mois, du lundi au samedi, de 10 h à 14 h et de 17 à 20.30. Après ces deux mois non rémunérés, si vous atteignez le taux de ventes requis, vous serez payé à la journée chaque fois que l’on aura besoin de vous au magasin ».
Évidemment, la seule garantie de cette offre est de travailler gratuitement pour l’entreprise durant deux mois. Pas de salaire, ni d’assurance. Mieux vaut faire du bénévolat! Au moins, on en tire une satisfaction personnelle.
S’agit-il d’une blague ? Non, on retrouve ces offres d’emploi délirantes dans tous les secteurs d’activité, comme d’ailleurs dans celui de la communication et du journalisme. L’association qui représente les journalistes à Madrid, APM, a créé le hasthag #gratisnotrabajo pour dénoncer ces abus. Et il y en a beaucoup, parce qu’il est courant que les médias, grands ou petits, souhaitent payer le journaliste avec ce qu’ils appellent de la visibilité: « Je ne peux pas te payer mais tu sais, nous avons beaucoup de lecteurs, ton article sera lu ». Traduire: tu ne pourras pas manger mais tu vas devenir célèbre !
« Tu veux le job? Paie le loyer de la boîte ! »
Parfois, il y a un salaire mais c’est comme s’il n’y en avait pas:
Magazine cherche journaliste pour rédiger quatre articles par jour (entre 200 et 250 mots chacun). Article payé 30 centimes d’euros ».
De quoi payer son crédit bien sûr! Mais il y en a encore mieux dans ce secteur où tous les coups semblent permis:
Radio Kanal Barcelona cherche 20 journalistes sport pour un nouveau programme. Le journaliste devra payer 100 euros par mois pour participer aux charges du studio (loyer et autres) mais il peut apporter un annonceur pour s’assurer un retour sur investissement ».
Vous avez bien lu: non seulement vous n’allez pas avoir de salaire, mais vous devrez payer pour travailler !
Dans certains cas, la formation du candidat n’est pas importante:
Cherchons femme pour émission télé. Rémunérée. Âge: entre 18 et 22 ans. Taille: à partir de 1.70. Mensurations: 36-38. Langues: catalan et castillan ».
On se demande s’il s’agit d’un poste de journaliste…
Aux yeux de l’avocat Daniel Salvador, la seule solution pour enrayer cette profusion d’annonces low-cost est tout simplement de ne pas se laisser faire: « Je dis aux gens de porter plainte. Pour une plainte à la police, il n’y a même pas besoin d’un avocat », plaide-t-il.