La crise suscitée par l’annexion de la Crimée et la menace, brandie à Moscou, d’un arrêt des livraisons de gaz transitant par l’Ukraine ont relancé la réflexion sur les moyens de réduire la dépendance énergétique européenne à l’égard de la Russie, mais les alternatives sont limitées et coûteuses.
Les Vingt-Huit ont accompli quelques progrès en ce sens après les crises commerciales de 2006 et de 2009 entre Kiev et Moscou, qui avaient perturbé les livraisons. Leur réseau d’acheminement des hydrocarbures a ainsi été amélioré, ce qui écarte un tant soit peu le risque de nouvelles perturbations, mais la Russie leur fournit toujours un tiers du gaz, du pétrole et du charbon qu’ils consomment, moyennant 250 milliards de dollars annuels.
S’il n’est pas très compliqué de trouver d’autres fournisseurs pour le pétrole et le charbon, la question du gaz est plus problématique puisque les gazoducs européens sont alimentés par un unique fournisseur: le géant russe Gazprom.
“La part de marché de Gazprom en Europe augmente (du fait de la diminution de la production européenne; ndlr). L’objectif de diversification de nos approvisionnements ne sera donc pas accompli avant 2020“, observe Thierry Bros, spécialiste du marché gazier à la Société générale. Après cette date, poursuit-il, les alternatives resteront quoi qu’il en soit plus coûteuses si le tarif russe n’explose pas, poursuit-il.
Elles existent néanmoins bel et bien. Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne, qui dépendent presque entièrement de la Russie sur le plan énergétique, ont l’intention de se doter de petits terminaux pour le gaz naturel liquéfié (GNL) et sont en discussions avec différents fournisseurs, dont l’Américain Cheniere Energy.
Ces terminaux permettraient d’échapper à une pénurie si Moscou venait à fermer le robinet du gaz pour des raisons politiques, mais le prix du GNL exclut un usage à grande échelle. Les producteurs américains visent essentiellement l’Asie, où les tarifs sont presque deux fois plus élevés.
“Les importations européennes déclinent régulièrement depuis 2011 et ont atteint leur niveau le plus bas depuis neuf ans en 2013, alors que la demande continue à croître en Asie et en Amérique latine“, peut-on lire dans le rapport sur les exportations du groupe américain BG publié le mois dernier.
Pour alléger la facture, l’Europe pourrait se tourner vers une source plus importante et plus proche. Près d’un milliard de mètres cubes de gaz, soit un peu plus de deux ans de consommation européenne, ont été découverts dans les eaux israéliennes et chypriotes.
Les projets d’exportations n’en sont qu’aux premiers stades et l’instabilité de la région ne facilite pas les choses, mais des efforts croissants sont déployés pour que ce gaz soit un jour consommé dans l’UE et pour faire de Chypre, État membre, un pays producteur.
Reste que dix milliards de dollars seront nécessaires, ce qui représente un investissement sans précédent pour Nicosie. Il faudra par ailleurs apaiser les tensions politiques.
“Quelqu’un va devoir obtenir le prix Nobel de la paix avant que le gaz de la région n’en sorte“, ironise un membre des équipes de prospection. Enfin, rien n’est acquis en ce qui concerne la réduction de la dépendance à l’égard de la Russie, puisque Gazprom est impliqué dans le projet.
Le gaz de schiste, exploité avec succès aux États-Unis, suscite également des espoirs, mais les coûts d’exploitation sont plus élevés qu’outre Atlantique pour des raisons géologiques. Sur le plan politique, France, Bulgarie et Allemagne, où la prospection a cessé, y sont en outre opposées.
Du côté des énergies alternatives, les efforts déployés jusqu’ici n’ont guère permis d’accroître la sécurité énergétique. Le charbon, gros pollueur, n’est pas très compatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Quant au nucléaire, l’arrêt programmé de la filière en Allemagne a porté un coup aux perspectives de développement.
L’histoire récente a par ailleurs montré combien il est difficile de se passer du gaz russe. Le gazoduc Nabucco entre l’Asie centrale et l’Europe, à ce jour le plus gros effort en ce sens, devait répondre à 5% de la demande de l’UE.
Or, face à l’explosion des coûts, à l’insuffisance des quantités disponibles et au lobbying russe, le choix s’est porté sur l’alternative Trans-Adriatique. Moins ambitieux, ce gazoduc qui relie les gisements azéris de la Caspienne à l’Italie via l’Albanie et la Grèce, doit fournir 2% du gaz consommé en Europe.
L’échec de Nabucco laisse le champ libre à Gazprom pour construire l’énorme gazoduc South Stream, qui doit assurer 10% des exportations vers l’UE à la fin de la décennie.
“En ce qui concerne Nabucco, c’est jeu, set et match pour la Russie“, conclut Dieter Helm, de l’université d’Oxford.
(Merci à Pierre)