Le vélo est l’arme tranquille de la révolution écologique. Le vélo pourrait transformer nos sociétés cabossées. C’est le leit-motiv du journaliste Olivier Razemon, qui rappelle tout le potentiel économique du vélo et le pouvoir de transition qu’il porte en lui.
Plus d’une centaine d’amoureux de la petite reine de tous âges, beaucoup de militants, de ceux qui font la « vélorution » en deux roues tous les premiers samedis du mois dans les rues de Paris pour réclamer plus d’espace, se sont déplacés, la semaine dernière, à la Maison du vélo, près de la Bastille, à Paris.
Dehors, sur la chaussée, plein de vélos sagement garés. Comme dans son essai « poil à gratter », Le pouvoir de la pédale, au style drôle et léger, le journaliste-blogueur spécialiste des transports, d’urbanisme et des modes de vie, Olivier Razemon est invité à raconter comment le vélo pourrait transformer nos sociétés cabossées.
Les participants se sont installés dans l’atelier, entre pneus pendouillant au plafond, fourches, guidons, clés et chaînes de toutes tailles méticuleusement bien classés. Les uns prennent des notes, d’autres filment, témoignent, tous ravis d’une publication redorant les guidons d’un objet trop souvent caricaturé et catalogué selon les époques: d’abord pour les prolos, puis pour les sportifs et les loisirs, et désormais pour les bobos ou les riches, bref jamais pour soi, toujours pour l’autre, et trop peu pensé pour réparer les villes.
Pour Olivier Razemon et pour ce public tout ouïe, le vélo est pourtant l’objet idéal pour accompagner le changement de société.
Le vélo : un formidable potentiel économique
Robuste, fiable, ce mode de transport pourrait être plus répandu, on s’en doute. Tout comme on sait son intérêt pour la santé des hommes et de la planète. Pour désengorger les villes, les rendre plus douces, plus respirables, asphyxiées qu’elles sont par la suprématie de l’automobile.
Censée relier les hommes, l’auto aujourd’hui les isole dans des habitacles de tôles, « des bureaux mobiles » pour beaucoup, dévoreurs d’espace. Ce soir, Olivier Razemon insiste sur le formidable potentiel économique, généralement méconnu, du vélo.
Ce dernier peut non seulement revivifier les cœurs de villes, créer des connexions avec les banlieues mais en plus il est bon pour le commerce : « Des études montrent que les gens à vélos sont de meilleurs acheteurs que ceux en voiture ! » explique-t-il. De plus, à pied, en vélo, en selle, on se croise, on se salue, on discute… Bref, le vélo fait société.
En terme d’emplois, son potentiel tient la route nous assure-t-on, sans compter le volet recyclage et réemploi. « Il existe 70 ateliers-vélos participatifs et solidaires en France rappelle Amelie Dumoulin, du réseau L’Heureux cyclage, en progression avec 30000 utilisateurs, 80 salariés et 1 million de bénévoles. Preuve que le vélo est bien l’outil d’une redynamisation de l’économie locale et de quartier. Les Français ont 26 millions de bicyclettes. 1,5 million de vélos finissent à la casse chaque année, le recyclage et le réemploi des pièces constituent un réservoir d’emplois à activer. »
L’autonomie retrouvée
Combien de villes de taille moyenne ne peuvent être visitées, ni même traversées si on n’a pas de voiture alors qu’il serait si simple de s’y déplacer à vélo ?, interroge Olivier Razemon. Longtemps classé objet du pauvre, le vélo est devenu l’objet du riche ou du bobo, mais c’est en réalité l’outil qui permet de redevenir autonome.
Dans les pays pauvres, avoir un vélo change la vie. De même, une voiture cassée doit passer par l’atelier de réparation ou être remplacée à la différence d’un vélo où l’on peut se débrouiller seul.
Alors que la voiture a dévitalisé les centres villes, favorisé l’étalement urbain, le vélo apparaît aujourd’hui comme l’outil idéal pour reconquérir la ville. Même si, ironie de l’histoire, c’est lui qui en son temps, a amené la vitesse et la motorisation dans la ville, précise Laurent Védrine, auteur du documentaire « La Reine Bicyclette » :
« Fin XIXeme-début XXeme siècle, il est le cheval de Troie de l’étalement urbain et de l’arrivée des véhicules motorisés. Souvent les mêmes fabricants ont prolongé l’industrie du cycle par celle du moteur et le vélo a permis aux ouvriers de s’installer au-delà des centres-villes, au bout des premières lignes de transports en commun ».
Ralentir la ville et accompagner la transition
Mais comme il a accompagné le changement de société et les utopies il y a plus d’un siècle, rappelle le réalisateur citant pour preuve un projet fou d’autoroute pour vélos dans la région de Birmingham pensé en 1896, la formidable simplicité du vélo pourrait permettre de ralentir les villes et d’accompagner la société vers une transition.
Que faire pour favoriser son usage ? C’est le moment de la soirée où la question mobilise plus que jamais la salle convaincue. Et chacun y va de son commentaire pratique :
« Pourquoi ça marche chez les Hollandais et pas chez les Français ? », « Question de fierté sans doute ! », « S’il y avait plus d’arceaux, plus de locaux à vélo… », « Et des douches sur les lieux de travail ! », « Pas la peine, pour moins de dix kilomètres, on ne transpire même pas ! », « Des aménagements sécuritaires… », « C’est plus complexe : à Copenhague il y a des aménagements et beaucoup de vélos », observe un participant belge. « A Bruxelles il y en a peu, et malgré tout, on y circule beaucoup à vélo ».
Le vélo a besoin d’une politique réfléchie… et de chacun de nous !
L’usage du vélo ne pourra se développer que s’il est l’objet d’une politique, ce qui ne saurait s’improviser. Il ne suffit pas de faire des pistes à vélos, commente Olivier Razemon, il faut une vraie réflexion, intervenir au niveau de l’urbanisme, et aussi de la communication.
Enfin, les expériences réussies montrent qu’un petit « coup de grâce » est également nécessaire. « Un événement qui amène les gens à s’y mettre, parce qu’ils y trouvent un intérêt » poursuit-il. De suite, on pense aux grèves, à la crise économique… une chance ?
En rendant difficile la circulation automobile par exemple les travaux du tram ont remis un certain nombre d’habitants de Bordeaux en selle. A cela s’ajoute une formule de prêt de vélo qui fait qu’aujourd’hui elle est parmi les premières villes cyclable de France.
Reste que si la transition cyclable relève de la politique, « elle n’est pas réservée aux seuls responsables politiques, comme l’écrit le journaliste dans son livre. Tout le monde est décideur (…). Nous pouvons tous enclencher cette ‘vélorution‘ ».
Le livre d’Olivier Razemon : Le Pouvoir de la Pédale, Olivier Razemon, éd. Rue de l’Échiquier, 15 euros.