La décision prise par le musée du Louvre d’abandonner le projet de département « consacré aux arts des chrétientés d’Orient, des empires byzantins et slaves » peut se comprendre : en période de disette budgétaire, il semblait sans doute peu opportun de créer un département nouveau, qui aurait empiété sur les départements classiques du musée, et sans doute remis en cause certaines baronnies…
Il n’empêche. Cet abandon est regrettable, et pas seulement pour les spécialistes de Byzance, qui ne disposeront pas en France, contrairement à ce qui se passe à Londres au British Museum ou au Bode Museum de Berlin, d’un interlocuteur unique permettant de faire avancer la recherche en la matière.
Alors qu’ en Turquie on rase les cimetières arméniens ou syriaques, et qu’en Syrie, c’est tout le patrimoine chrétien qui est bombardé, détruit, ou pillé dans l’indifférence la plus générale, l’enterrement peu glorieux de ce projet visant à mieux mettre en valeur la civilisation chrétienne d’Orient laisse un goût amer.
Il y a plus que le patrimoine. La décision de constituer un ensemble autour de la civilisation byzantine avait été prise au moment où le Louvre créait un département des arts de l’Islam. Il s’agissait alors de rappeler que cette région de l’est du bassin méditerranéen n’avait pas que des racines exclusivement musulmanes, et que des religions diverses avaient pu y cohabiter, prospérer, et s’influencer réciproquement. L’ignorer est tout aussi stupide que de visiter Istanbul en oubliant que l’histoire a commencé ici bien avant 1453 (chute de Constantinople), et que la plupart des mosquées sont édifiées sur d’anciennes églises.
Et justement, l’ignorance nourrit toutes les violences. Le département des arts de l’Islam est superbement bien fait, pédagogique et très éclairant sur la diversité de cette civilisation. Il donne au passage la preuve que l’on peut, y compris dans la France laïque, parler de religion au musée, sans pour autant se situer dans une optique confessionnelle. Il permet à des jeunes issus de l’immigration de se réapproprier une partie de leur histoire et aux autres d’en admirer la richesse.
Dommage que l’on ait renoncé à leur montrer ce que cette civilisation doit à l’influence du christianisme d’Orient. A l’heure où l’expression de « terre d’islam » semble considérer que le pluralisme religieux est impossible dans certaines zones du monde, le musée avait l’occasion, par le détour de l’histoire, d’expliquer que les civilisations sont toujours le fruit de mélange, et que, sur ces terres, plusieurs rameaux ont été plantés. Et qu’ils ont même pu, pendant de longs siècles, cohabiter.
La Croix