De nombreux épargnants chinois financent le shadow banking sans le savoir au travers de produits patrimoniaux qui leur sont vendus par les banques. Les premiers défauts d’entreprises financées par cette voie totalement libéralisée pourraient causer leurs premières déconvenues.
Ralentissement de la croissance, exposition exponentielle au crédit, finance alternative hors de contrôle… malgré des messages qui se veulent rassurants de la part des autorités, la tension est palpable en Chine. L’une des craintes, citée régulièrement, est celle d’une implosion du système financier. Sans même aller aussi loin, les épargnants chinois sont en première ligne pour payer l’addition des excès de la finance de leur pays, en plein virage vers une économie de marché.
Un système bancaire classique inefficace
Pour comprendre, il faut s’intéresser au fonctionnement du crédit en Chine. Les banques commerciales, contrôlées par l’État, ne peuvent en effet prêter que dans la limite des taux d’intérêts définis par la banque centrale chinoise, la People Bank of China (PBOC). Dés que ceux-ci ne suffisent pas à garantir leurs risques, ce qui est presque toujours le cas pour les entreprises privées, elles ne prêtent pas.
C’est la raison pour laquelle la quasi totalité des liquidités injectées par la PBOC pour soutenir l’économie du pays, face au ralentissement mondial après 2008, sont venues nourrir les entreprises d’État et les gouvernement locaux.
Or, dans le cadre du rééquilibrage de la croissance axé sur une montée en gamme et une plus grande place accordée au marché, les autorités ont décidé de mettre l’accent sur les entreprises privées.
Le shadow banking comme substitut
Afin de leur assurer un financement, alors qu’elles sont par nature porteuses de risque faute d’une garantie de l’État, Pékin a fait la part belle à une finance alternative : le shadow banking. Dans les faits, il s’agit de permettre à des sociétés prenant la forme de trusts de jouer le rôle de banques au service du secteur privé.
“Le shadow banking n’est pas une mauvaise chose. C’est un pas vers la libéralisation des taux d’intérêts vers laquelle veulent tendre les autorités,” explique Xinghang Li, gérant d’un fonds actions marchés asiatiques chez OFI Asset Management.
L’ennui, c’est que ces trusts ne sont pas des banques. Ils ne sont donc soumis ni aux taux d’intérêt fixés par les autorités, ni aux exigences de fonds propres que doivent respecter les établissements bancaires. Bien que détenus par des entreprises d’État, ils ne sont en fait soumis à aucune régulation pour le moment.
Près de 19% du PIB
Ils pesaient pourtant quelque 10.900 milliards de yuans (1.300 milliards d’euros) fin 2013, selon la China Trustee Association, un organisme sous la coupe de la PBOC. Soit 19% du produit intérieur brut (PIB) chinois. Pas moins de 32% de cette somme aurait financé des opérations immobilières.
La Réserve Fédérale de San Francisco estime même le poids de cette finance de l’ombre chinoise à 4.800 milliards de dollars (3.500 milliards d’euros) selon une étude parue en avril dernier. Même si, il faut le reconnaître, c’est moins qu’aux États-Unis, où le shadow banking pesait au bas mot 25.000 milliards de dollars à la fin 2011.
Financement par l’épargne
Mais là où le bât blesse, c’est que le gros du financement de ces trusts est assuré par l’épargne privée. Et, si certains savent ce qu’ils font, de nombreux petits épargnants ne seraient pas au courant, comme le souligne Xinghang Li.
“Les banques vendent des produits d’épargne aux particuliers appelés Wealth Product Management (WPM) qui contiennent des créances sur ces trusts, en échange desquels elles promettent aux particuliers un rendement de 5 à 8%,” explique le gérant.
Ces produits d’épargne sont très attractifs pour les particuliers, car le taux de dépôt est fixé à moins de 3% par la banque centrale, sans que les banques ne puissent y déroger. Mais les acheteurs de ces produits ne savent pas nécessairement ce qu’il y a dedans. Jusqu’ici, ils pouvaient cependant compter sur l’État pour intervenir et éviter les défauts.
Première série de défauts obligataires
Sauf que les deux premiers défauts obligataires de l’Histoire de Chine, tous deux survenus ces dernières semaines, et le possible éclatement d’une bulle immobilière, ont attisé la crainte d’un effondrement du château de cartes.
“Malheureusement, j’ai bien peur que des cas isolés de défauts de ce type soient difficiles à éviter,” a d’ailleurs prévenu le Premier ministre suite au premier d’entre eux, celui du fabricant de panneaux solaires Chaori.
Une manière d’annoncer que désormais, Pékin n’interviendra plus à tous les coups pour sauver les investisseurs imprudents, en particulier dans les secteurs en surcapacité. A titre d’indice, le second défaut obligataire concernait une petite entreprise de construction, Xuzhou Zhongsen Tonghao.
Les épargnants en première ligne
Pour le moment, les deux cas de défaut avérés restent isolés et les montants sont faibles. La solvabilité des trusts, censés produire les intérêts reversés aux épargnants au travers des produits patrimoniaux (WPM) n’a par ailleurs pas été remise en cause.
Mais “il y aura d’autres défauts de ce type, met en garde Xinghang Li, car cela va dans le sens d’un assainissement de l’économie.”
La question est donc désormais de savoir qui aura à assumer le risque en bout de chaîne. En principe, selon la réglementation chinoise, ce sont les épargnants détenteurs de ces produits patrimoniaux qui, en qualité d’investisseurs, sont responsables de leurs pertes.
Signes de tension chez les épargnants
Il y a toutefois peu de chance pour que la banque centrale prenne le risque de provoquer une panique généralisée, expliquent les analystes. Mais il n’en demeure pas moins que la confiance qu’ont les Chinois dans leur système bancaire commence à s’effriter.
En témoignent les trois jours de panique provoqués par des rumeurs d’insolvabilité de deux banques dans la ville de Yancheng, au nord de Shanghaï, la semaine dernière. Les clients y étaient venus en masse retirer leurs économies avant que la PBOC ne soit obligée de les rassurer.
C’est ce type de panique, connu sous le nom de bank run, qui avait provoqué la chute de la banque britannique Northern Rock, emblème de la crise financière de 2008.
Les investisseurs internationaux ne seront donc sans doute bientôt plus les seuls à exiger davantage de transparence dans le système financier chinois. Transparence sans laquelle l’introduction de la notion de risque, pendant de l’économie de marché, ne se fera pas sans heurt.
La Tribune