Les Français auront accès aux séries américaines. Mais ni le fisc ni l’emploi tricolores n’en profiteront.
L’intransigeance a « payé ». Netflix, le numéro un mondial des services de vidéo à la demande (VOD) sur Internet, 4,37 milliards de dollars de chiffre d’affaires, diffusera bien son énorme catalogue de films et de séries, dont leur célèbre production originale « House of Cards », en France dès cet automne. Mais via le Luxembourg. L’entreprise américaine, créée en 1997, avait pourtant envisagé de s’installer à Paris. Avec une levée de fonds de 400 millions de dollars réalisée en 2013, son P-DG, Reed Hastings, souhaitait accélérer son développement en Europe, ce qui représente un investissement de 40 à 70 millions d’euros selon les pays concernés. Et ses émissaires sont effectivement venus négocier avec les autorités françaises, rencontrant les équipes d’Aurélie Filippetti à la Culture, celles du CSA et des producteurs, à la fin de mars 2014. « Mais les invraisemblables revendications tricolores les ont fait fuir », accuse Rubin Sfadj, avocat des deux côtés de l’Atlantique et blogueur, fin connaisseur du dossier.
S’il existe une directive européenne de 2010 concernant les obligations de diffusion dans l’UE (Smad), chaque pays de l’Union est libre de l’adapter à son gré. Or la France est allée bien plus loin dans le cadre de ses obligations que ses voisins, en contraignant notamment chaque intervenant sur ce marché à présenter au moins 60 % d’œuvres européennes dans son catalogue (dont 40 % d’œuvres françaises), tout en consacrant 15 % de son chiffre d’affaires à des œuvres fabriquées par des producteurs européens ! Des conditions jugées « confiscatoires », fixées au nom de l’« exception culturelle », qui propulse chaque année sur les écrans un nombre croissant de films confidentiels, lesquels n’auraient pas vu le jour sans ces aides.
Autre particularité nationale, le délai de disponibilité des films sur Internet en vidéo par abonnement : trois ans après leur sortie, contre quatre mois en moyenne aux Etats-Unis. Une aberration pour Netflix, dont l’immense succès auprès de ses 40 millions d’abonnés (dont 83 % aux Etats-Unis) repose justement sur l’accès quasi immédiat aux longs-métrages et séries, pour un forfait qui va passer de 8 à 10 dollars par mois.
« Netflix doit être un acteur supplémentaire du système. Pas un passager clandestin qui profite, sans abonder la création française », avait fièrement déclaré Aurélie Filippetti il y a quelques mois.
La réponse ne s’est pas fait attendre. Au lieu d’un siège francophone en France, l’entreprise américaine cotée au Nasdaq (19 milliards de dollars de capitalisation boursière) utilisera une filiale existante dans le Grand-Duché pour proposer l’intégralité de son catalogue aux amateurs français. Avec une double peine à la clé. D’une part, les clients de l’Hexagone pourront enfin avoir accès au catalogue de Netflix, via leurs fournisseurs d’accès Internet respectifs, sans que l’entreprise américaine ait à respecter ici un quelconque cahier des charges.
Mais, d’autre part, la France se trouve privée d’un investissement important, d’embauches potentielles, et d’un manque à gagner à la fois pour l’impôt sur les sociétés – de l’ordre de 15 millions d’euros par an – et pour les charges sur les salaires. Sans oublier l’absence d’un nouveau financement pour l’audiovisuel français. Un patriotisme coûteux.