Jean-Marie Pelt et Pierre Rabhi ont écrit un livre à deux voix : Le monde a-t-il un sens ? Oui, répondent-ils, mais seulement si nous acceptons que les mécanismes du vivant soient basés sur la coopération plutôt que sur la compétition. Nous les avons rencontrés lors d’une conférence de presse à Paris. Un moment lumineux et fraternel autour de cette question essentielle.
Ces deux-là ne se ressemblent pas. Et offrent ensemble une diversité biologique réjouissante. Tout est différent : la couleur de peau, de cheveu, le tour de taille, le timbre de la voix. Mais leur interaction symbiotique est immédiate, leur admiration réciproque palpable à chaque instant. Dès que l’un parle, l’autre l’écoute et le couvre d’un regard bienveillant et respectueux. Le botaniste et l’autodidacte. A moins que ça ne soit l’inverse. Deux hommes émerveillés par la puissance du vivant. Deux hommes inquiets aussi par la dureté du monde actuel.
Ce matin-là, au Café des éditeurs dans le quartier de l’Odéon, à Paris, ils se prêtent gracieusement à la traditionnelle conférence de presse. L’ambiance est détendue. Jean-Marie Pelt évoque l’amitié qui le lie à Pierre Rabhi : “Nous nous croisions souvent, notamment aux forums de l’association Terre du ciel qui ont lieu deux fois par an. Nous nous sommes vraiment connus quand Pierre s’est présenté à la présidence de la République, en 2002. Nous avons beaucoup discuté et nous nous sommes rapprochés.
Notre présence ici, à tous les deux, est la suite d’un cheminement qu’on a fait sans se connaître pendant vingt ans et qui aboutit à ce livre.
Nos idées ont convergé et nous sommes solidaires pour faire un constat : l’œuvre de Darwin n’a pas été lue de la bonne manière. La lecture officielle de la théorie de l’évolution est que la nature est régie par la loi de la jungle, la loi du plus fort et que pour les hommes, c’est la même chose. Nous pensons tous les deux que ce n’est pas tout à fait comme cela que ça marche. En réalité, la coopération a un rôle important à jouer dans la nature comme dans la société. Le concept de coopération n’a jamais été pris en compte sérieusement ni en biologie ni en sciences sociales.”
Dans la nature, de nombreux exemples montrent que la compétition peut évoluer vers la coopération, explique le botaniste.
Pierre Rabhi raconte à son tour : “Quand Jean-Marie m’a proposé d’écrire ce livre ensemble, j’étais dubitatif. C’est en lisant son texte que j’ai pu percevoir ce qui pouvait être ma modeste contribution. Le principe de ’coopération’ mis en exergue m’a beaucoup conforté dans mon intuition.”
Dans la première partie du livre, Jean-Marie Pelt développe l’idée que la nature ne repose pas uniquement sur la loi du plus fort mais largement aussi sur l’associabilité. « Cela fait soixante ans que je réfléchis à cette idée et la science m’a donné des preuves qui confirment mon intuition de départ ».
Dans la nature, il y a d’innombrables coopérations ; les éléments s’associent pour former des entités nouvelles plus complexes abritant des propriétés nouvelles.
“L’année dernière, explique-t-il, nous avons appris l’existence du Boson de Higgs. A l’origine, ces bosons se sont associés avec des quarks pour leur donner de la masse et engendrer la gravitation universelle de Newton. Tout à fait au début, il y a un phénomène d’associativité et à la fin du processus, il y a dans nos cerveaux un million de milliards de connexions potentielles entre les neurones, qui font ce que nous sommes. Entre ces deux illustrations de l’associabilité, une série de mécanismes d’associativités s’enchaînent. Dans la nature, beaucoup d’exemples montrent que la compétition peut évoluer vers la coopération. Les hommes vont-ils pouvoir faire la même chose ? C’est Pierre qui va vous le dire…”
“Humus, humanité, humilité ont la même étymologie”
“On ne peut pas dire que la façon dont les hommes ont organisé la vie sur cette planète est intelligente”, commence Pierre Rabhi. Du Sahara aux Cévennes, il a observé la progression inexorable de la mondialisation et son cortège d’inégalités et de gâchis. “C’est une guerre économique dans laquelle le plus fort subordonne le plus faible. La prédation est le mode d’opération du monde. L’humanité se préoccupe plus de la mort et de la destruction que de la vie. La question essentielle est de savoir si l’humanité peut évoluer pour récréer un vivre ensemble planétaire convivial.
Retrouver le rapport à la terre nourricière est une des solutions pour lui : “Dans un grain de blé il y a des tonnes de blé pour nourrir la planète. C’est un concentré de vie incroyable. Pour moi, c’est magique. Il y a de l’intelligence dans une simple graine. D’où vient cette intelligence ? c’est la grande question. C’est ce qui m’a amené à devenir agriculteur écologique.
Par l’agriculture, je réhabilite la coopération. Rien ne se perd, tout se transforme. L’arbre pousse en prenant les substances de la terre et les énergies cosmiques, puis, en automne il perd ses feuilles qui à leur tour restituent de la matière au sol.
Humus, humanité, humilité ont la même étymologie. Il faut que les hommes renouent des liens avec la terre.”
Jean-Marie Pelt approuve : “Je me retrouve tout à fait dans son analyse. Je suis comme Pierre quelqu’un qui aime la nature, qu’il appelle joliment, ’la terre nourricière’. Je suis d’une lignée d’horticulteurs, j’ai été élevé dans une ferme pendant la guerre. Je vis aussi à la campagne, au milieu d’un grand jardin, avec un verger. Je ne suis pas un grand consommateur de gadgets : je pratique la sobriété heureuse.”
La conversation se poursuit et pourrait durer longtemps. Mais l’éditrice leur rappelle un rendez-vous à la radio. Nous les regardons partir avec regret. Tout le monde les aime ces deux-là. Mais pourquoi sont-ils si sympathiques, si précieux ? Nous aideraient-ils à vivre un peu mieux ?
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Le monde a-t-il un sens ?, Jean-Marie Pelt et Pierre Rabhi, éd. Fayard