En 1997, Jean-Jacques Mathieu et sa femme se sont installés comme céréaliers sur une vingtaine d’hectares à Tréziers dans l’Aude. Contrairement aux gros céréaliers, ils ne misent pas sur les pesticides et les engrais pour faire pousser du blé, mais sur le riche potentiel génétique de leurs deux cents variétés.
Au début, les rendements étaient très faibles. « Je n’y connaissais rien, j’utilisais du blé dur commercial en bio mais ça ne poussait pas, car ils étaient sélectionnés par et pour la chimie ». Les blés inscrits au catalogue « sont testés avec deux cents unités d’azote », ajoute-t-il. Ils ne sont donc pas du tout adaptés à l’agriculture biologique.
Comme tous les blés commercialisés, ils sont issus de lignées pures, obtenues par autofécondations successives. Ce moyen de sélection rend tous les épis homogènes sur le plan génétique. Si on les compare à l’espèce humaine, on pourrait parler de consanguinité. Cette caractéristique ne leur donne pas beaucoup de chance de résister aux mauvaises conditions climatiques et aux maladies. Quand un épi est menacé, c’est tout le champ qui l’est.
Aidées par la chimie, ces variétés sont en revanche capables de s’affranchir des contraintes spécifiques liées aux milieux naturels où elles sont plantées. Pour obtenir un rendement optimisé, il suffit à l’agriculteur de mettre la bonne dose d’engrais et de passer les bons traitements. Mais ces variétés conçues dans les laboratoires ne s’adapteront jamais aux différents terroirs.
Pour revenir à ce principe fondamental de l’agriculture, qui consiste à sélectionner des plantes pour les adapter à un environnement particulier, les paysans comme Jean-Jacques Mathieu misent sur l’importante diversité génétique des variétés anciennes, dites « populations ».
À l’intérieur d’une même variété, tous les épis sont différents. La probabilité d’adaptation est donc plus forte. Un champ de blé « population » réagira mieux aux agressions extérieures qu’un champ de clones. Et quand plusieurs variétés de blé sont cultivées en mélange, leur résistance est encore multipliée.
« Qu’il y ait une sécheresse ou trop d’humidité, on a toujours une récolte », constate Jean-Jacques Mathieu qui travaille avec 200 blés différents. Un document de l’INRA consacré aux associations de variétés mentionne que pour les céréales, la culture en mélanges apporte « un bénéfice à la fois pour la productivité et la qualité de la récolte ».
Un résultat jugé d’ailleurs « particulièrement intéressant sachant que, dans les cultures monovariétales, il existe souvent une relation inverse entre qualité et productivité ». En effet, « plus on augmente le rendement, plus on augmente les macroglutens », explique Jean-Jacques Mathieu.
Même s’ils sont synonymes d’une baisse de la qualité nutritionnelle et de l’augmentation des allergies, les macroglutens sont appréciés par l’industrie. Car plus la farine contient de gluten, plus la pâte lève vite. Dommage pour la santé des consommateurs.
En raison de l’obligation d’acheter des variétés commerciales, il était devenu très difficile de trouver des blés offrant à la fois une bonne production et une résistance naturelle aux insectes et aux maladies.
« On est parti des frigos de l’INRA et des cinq ou six fermes en France qui cultivaient du blé ancien ». Même si la qualité des grains est aléatoire, certains lots restés trop longtemps au frais ayant « un taux de germination minable », il tient à saluer ce travail de conservation, sans quoi « de nombreuses variétés auraient disparu ».
L’objectif n’est pas de recueillir le maximum de sortes de blés, « il n’y a pas d’intérêts à avoir des graines de partout. On a ciblé les variétés d’origine de nos territoires ou adaptées au climat méditerranéen ».
En 2001, il sème ses premières variétés anciennes pour les multiplier. Il fallait s’armer de patience, « les sachets ne contenaient que vingt, quarante ou cinquante grains par variétés. J’ai mis cinq ans pour multiplier les premiers grains et passer les premiers blés au moulin ».
Ses critères de sélection sont la période de maturité, qui doit être proche entre les différentes variétés associées, l’intérêt gustatif et les apports nutritionnels des blés. Pour élaborer ses mélanges, il fait des tests avec les boulangers « sur le goût et la levée ».
La poussée de la pâte met plus de temps que dans les fournils industriels. Il faut compter six ou sept heures, « jusqu’à 24 heures parfois », mais la qualité est au rendez-vous.
« Le pain qu’on fait a du goût », et les blés utilisés ont « un taux de protéines de 17 %, contre 12 % pour les variétés modernes ». Par contre, ses rendements, de l’ordre de 25 à 30 quintaux à l’hectare (qt/ha), sont plus faibles qu’une ferme utilisant la chimie, où le rendement atteint 60 à 70 qt/ha. Mais en éliminant le coût des intrants, en fonctionnant en circuit court et en valorisant la matière première « on s’y retrouve largement ».
Avec des amis, il a monté une marque, une sorte de label qui réunit « sept meuniers, dont deux paysans boulangers, une quarantaine de boulangers et une quinzaine de paysans bio qui multiplient les variétés ». Avec le blé dur, ils ont monté une coopérative et se partagent la meunerie. « L’idée est de recréer un atelier collectif de valorisation, avec la machine à pâtes, le séchoir … »
Il veut aussi prouver que la course à la productivité n’est pas la solution. Faute d’aides de la PAC, « 30 % des petites et moyennes fermes ont disparu en France en dix ans ». Lui est satisfait de pouvoir sortir deux salaires sur vingt hectares.