La théorie du marché libre sur laquelle se fonde nos sociétés s’avère fausse, estime le Professeur Amos Witztum, un économiste de la London School of Economics. « On nous a dit que si nous faisions de longues études, et que nous travaillions dur, tout se passerait bien. Mais cette assertion ne tient plus depuis longtemps », dit-il.
Des études de l’OCDE montrent que la hausse du PIB par tête liée aux gains de productivité ne s’est accompagnée que de progressions de salaires proportionnelles à la hausse de l’inflation, au mieux, mais qui ont été très inférieures à cette croissance de la productivité.
Le lien traditionnel entre la productivité et la rémunération, c’est-à-dire entre le rendement des salariés, et la compensation qu’ils reçoivent, une pierre angulaire du système de marché traditionnel, ne s’applique plus. L’argent gagné par cette productivité qui n’a pas été utilisé pour payer des salaires a profité aux capitalistes, au travers des dividendes que les sociétés leur ont payés.
En outre, le professeur Witztum observe que souvent, les emplois que les gens trouvent ne correspondent pas à leurs qualifications. Au Royaume Uni, par exemple, le nombre d’employés sur-qualifiés pour leur emploi est passé de 21% en 1992 à 33% en 2006.
De ce fait, les salariés vieillissants redoutent de plus en plus de perdre leur emploi au profit d’employés plus jeunes, ou de l’automatisation. Le progrès technologique permet d’augmenter la productivité, mais il explique également 80% de la baisse des salaires des travailleurs.
« Nous vivons dans un monde où la technologie permet la production d’une partie de plus en plus grande des choses dont nous avons besoin. Il serait plus sage de saisir l’opportunité que la technologie représente, plutôt que de pousser les gens à en faire encore davantage pour avoir un salaire », estime Witztum.
« Les écoles devraient mettre l’accent sur le développement du capital culturel des étudiants au travers de la science et de la spiritualité. Ce capital leur permettrait de faire face à une réalité où les salaires ne progressent plus, où les revenus tirés du capital sont limités, et où la demande pour des heures de travail se réduit parce que l’on a de moins en moins besoin des gens pour produire quelque chose ».
Il ne soutient cependant pas les mouvements du type Occupy Wall Street.
« Le problème, ce n’est pas que des gens agissent de façon extrême [en s’arrogeant des bonus exagérés], mais le fait que le système le permette. Cela démontre seulement que la perception selon laquelle vous serez récompensé si vous travaillez dur est vivace », dit-il. Il ne croit pas que la social-démocratie soit la bonne réponse au capitalisme, parce qu’elle est basée sur les principes du marché qui sont injustes, « intrinsèquement antisociaux ».
Pourtant, il reste optimiste, il est convaincu que dès qu’il sera acquis que le marché libre ne peut rien contre la baisse de l’emploi, de nouvelles solutions émergeront.
Selon le professeur Witztum, nous sommes dans une période de transition vers une ère post-emplois. Pour que cette évolution s’effectue de façon plus équitable et plus fluide, il faut changer la perception que nous avons de l’économie de marché, ne plus l’idéaliser, mais plutôt comprendre qu’il s’agit d’un mal nécessaire.
Cela implique un changement de politique, et plutôt que de mettre l’accent sur la création d’un climat d’affaires positif, de repenser les droits de la propriété privée, et la redistribution des richesses. Pour y parvenir, nos dirigeants doivent utiliser le levier fiscal.
Une autre piste qu’il suggère est celle de la création d’un revenu de base garanti. Comme celui-ci implique un coût pour le revenu national, il pose de ce fait un problème de financement, puisque moins de gens qui travaillent induisent une baisse des recettes fiscales. Mais cette difficulté peut être résolue en l’indexant sur les variations du PIB, estime le professeur.