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Le ministère des Affaires étrangères organise un colloque sur les soldats des colonies durant la Grande Guerre. L’historien américain Richard S. Fogarty s’est notamment interrogé sur le racisme et le traitement de ces troupes par l’armée française.

Depuis le début de ses études, l’historien américain Richard S. Fogarty s’intéresse à la France et à sa place dans la Première Guerre mondiale. Au cours de son doctorat consacré à cette période, ce professeur de l’Université d’Albany, dans l’État de New York, a été particulièrement surpris par un chiffre. “J’ai découvert dans un article que la France avait utilisé 500 000 soldats de ses colonies pour combattre en Europe durant la Guerre. Je n’en avais jamais entendu parler auparavant”, explique-t-il à FRANCE 24.
“Cela m’a semblé très surprenant, car je savais que la France avait une longue histoire coloniale dans laquelle les races et le racisme ont joué un rôle très compliqué. J’ai aussi pensé que l’expérience française offrait un contraste par rapport à l’armée américaine, qui était strictement ségrégationniste à l’époque, tout comme la société”.
Intrigué par ce pan oublié de l’histoire, Richard S. Fogarty y a donc consacré toutes ses recherches et a rédigé un livre à ce sujet intitulé “Race & War in France, Colonial Subjects in The French Army (1914-1918)” (Race et Guerre en France, les sujets coloniaux dans l’armée française). Dans le cadre du colloque organisé le 21 mai par le ministère des Affaires étrangères sur les travailleurs et les soldats des colonies dans la Grande Guerre, l’historien va présenter le résultat de ses travaux :
“Je me suis dit que le recrutement et l’envoi de soldats non-européens sur des champs de bataille en Europe serait une bonne opportunité de comprendre comment une république fondée sur des principes de liberté et d’égalité a pu aussi exploiter un empire basé sur la supériorité des blancs et la soumission des non-Blancs. C’est ce paradoxe que j’ai étudié dans mon ouvrage”.
Au début de son enquête au cœur de l’armée tricolore, l’auteur américain s’est d’abord penché sur la question du recrutement de ces “poilus” venus des quatre coins du monde. Il s’est très vite rendu compte que l’État major français ne considérait pas ces soldats de la même façon. “Au sein des cercles administratifs coloniaux et militaires, il y avait une certaine anthropologie de la valeur martiale. Selon cette dernière, des groupes ethniques étaient considérés comme plus guerriers que d’autres. Il y avait ainsi des distinctions au sein des différentes colonies”, note Richard S. Fogarty. “Par exemple, les Africains de l’Ouest étaient reconnus comme étant de meilleurs guerriers en raison de leur supposée sauvagerie primitive, alors que les Indochinois étaient vus comme étant trop petits et trop efféminés pour faire de bons soldats”.
Cette classification a ainsi conduit les officiers français à utiliser, de manière très différente, les soldats venus des colonies. Contrairement à une idée largement répandue, tous n’ont pas été placés en première ligne : “Considérés comme des races guerrières, les troupes d’Afrique de l’Ouest ou encore les Algériens ont servi sur le front, très souvent comme des ‘troupes d’assaut’, tandis qu’un grand nombre de soldats de Madagascar et d’Indochine ont effectué des tâches à l’arrière, loin des combats”.
Depuis presque 100 ans, un autre cliché laisse entendre que les soldats africains, principalement les tirailleurs sénégalais, ont été traités volontairement par les généraux comme de la “chair à canon” au nom “d’un impôt du sang”. Dans son étude, Richard S. Fogarty montre que cette question est loin d’être tranchée : “Il n’y a pas une réponse catégorique et il y a différentes opinions à ce sujet. Certains affirment que, selon les pratiques de recrutement, les races guerrières étaient utilisées comme des troupes de choc et étaient donc confrontées à plus de danger. (…)

En revanche, d’autres universitaires remettent en question ces pertes supposées plus lourdes en montrant que les taux de mortalité des soldats coloniaux sont égaux ou même plus bas que ceux des “poilus” nés en France”.

Richard S. Fogarty prouve, par ailleurs, que ces accusations de mauvais traitements ont bien souvent été montées en épingle par le camp adverse. Engagée aux côtés des Turcs, l’armée allemande a cherché durant la Première Guerre mondiale à convaincre les soldats musulmans français de rejoindre ses rangs pour ne pas qu’ils se battent contre “leurs frères” de religion. Le plus célèbre exemple est celui du lieutenant Boukabouya Rabah, du 7e régiment de tirailleur algérien, qui a déserté en 1915 l’armée coloniale pour fuir à Istanbul. Dans un livre propagande intitulé “L’Islam dans l’armée française”, il incitait à l’époque ses camarades à retourner leurs armes dans “une croisade sainte contre leurs maîtres coloniaux”.
Pour empêcher une contagion de ces idées, l’État major français tenta de répondre aux attentes des soldats musulmans en respectant leur pratique religieuse. “Le gouvernement et l’armée ont fait beaucoup d’efforts par exemple en enterrant les soldats selon les rites musulmans et en facilitant l’observance du jeûne du ramadan”, explique l’historien. Ce dernier note toutefois que ces ajustements très pragmatiques avaient aussi un but politique : “Les autorités des colonies ne voulaient pas que d’éventuelles histoires de manque de respect à l’égard de la religion ou d’autres pratiques culturelles au sein de l’armée filtrent jusque dans leurs régions et mettent en colère les familles. Cela aurait été un facteur de troubles”…
France24, merci à antibarbare

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