8 mars dernier, O2 Arena de Londres. Dans une ambiance survoltée, Alexander Gustafsson fait vaciller Jimi Manuwa d’un coup de genou à la mâchoire. Physique à la Zlatan et oreilles en chou-fleur, le Suédois a à peine le temps d’asséner deux coups de poing à son adversaire tombé au sol que l’arbitre arrête immédiatement le combat. D’une intensité rare, l’affrontement a duré moins de sept minutes et l’enfant du pays, Manuwa, a perdu. Mais les spectateurs exultent. Bienvenue à l’UFC, le sport «à la croissance la plus forte au monde» comme ses promoteurs aiment le présenter.
Les 15.000 billets pour l’évènement – à 100 euros en moyenne – se sont arrachés en 36 heures. La NBA ou la NFL ne font pas mieux quand elles débarquent sur les bords de la Tamise. Le Main Event (combat principal) entre Gustafsson et Manuwa a été diffusé en direct dans 178 pays via l’UFC Fight Pass, une plateforme de streaming lancée début 2014 permettant de regarder les combats sur smartphones et tablettes contre 8 euros par mois. Sans oublier le très lucratif pay-per-view et les innombrables contrats de droits TV (100 M$ par an pour le seul Fox Sports) pour un potentiel d’un milliard de téléspectateurs.
Carrure de pilier de rugby et boule à zéro, Dana White jubile en conférence de presse à l’O2 Arena. «Je vous l’avais dit il y a longtemps les gars. Nous avons envahi le monde et ce n’est pas fini !» Le volubile président de l’Ultimate Fighting Championship peut avoir le sourire. On est loin des 2800 entrées payantes et des 78.000 dollars de recettes du premier évènement UFC organisé il y a vingt ans à Denver. Et de son image détestable.
Retour en 1993
Pour couronner le «combattant ultime», les créateurs de l’UFC font s’affronter des athlètes de différentes disciplines (judo, ju-jitsu, karaté, lutte, boxe thaïlandaise) dans un tournoi d’Arts Martiaux Mixtes (MMA). Et ouvrent une boite de Pandore qu’ils auront bien du mal à refermer. La faute à une permissivité excessive lors des premiers combats. On parle alors de «Free Fight» où tous les coups sont permis. Opposant de la première heure aujourd’hui converti au MMA, le sénateur de l’Arizona John McCain dénonce à l’époque ces «combats de coqs humains». Pour ne favoriser aucun des participants, il n’y avait pas de règles ou presque, pas de catégories de poids. Tout le monde pouvait s’affronter. Le MMA est un sport né sous une forme assez violente», raconte Bertrand Amoussou, ancien champion d’Europe de judo et pionnier du MMA en France.
Décriée et marginalisée, l’UFC est une franchise moribonde lorsqu’en 2001, deux frères de Las Vegas, Frank et Lorenzo Fertitta, la rachètent pour 2 millions de dollars. 13 ans plus tard, elle vaut plus d’un milliard de billets verts selon Forbes. Pour s’imposer dans les foyers américains, l’UFC s’est refait une virginité en instaurant des règles strictes (52 au total) avec comme credo la sécurité des combattants. Violent et spectaculaire – le sang coule souvent -, dopé au story telling (l’UFC produit sa propre émission de télé réalité) et aux réseaux sociaux (12 millions de fans sur Facebook), l’UFC est désormais le 4e sport le plus populaire chez les 18-34 ans américains après le baseball, le basket et le foot US. Devenue phénomène mondial, l’organisation monte aujourd’hui des évènements aux quatre coins du monde (Brésil, Australie, Chine, Allemagne…)
Le MMA et l’UFC restent pourtant interdits dans l’état de New-York et dans quelques pays dont la France. L’autorisation de frapper l’adversaire au sol et la cage où les combats se déroulent – appelée Octogone – ne font pas l’unanimité. «Les coups sont moins dangereux que ceux assénés en boxe anglaise», assure Bertrand Amoussou. Quant à la cage, considérée comme avilissante voire barbare pour ses détracteurs, elle est, selon l’ex-combattant, «la plus adaptée à ce type de combat qui mélange percussions et projections. Sur un ring traditionnel, le risque de chute serait trop grand».
Ils disent non à l’UFC
«Nous avons créé des règles pour faire du MMA l’un des sports les plus sûrs, pas l’un des plus violents, explique au Figaro Garry Cook, vice-président de l’UFC Europe. Il n’y a jamais eu de blessures sérieuses. La sécurité médicale est omniprésente.» A Londres comme à chaque évènement UFC, cinq docteurs se sont relayés toute la soirée autour de l’Octogone. «L’UFC est une organisation jeune. Il faudra attendre encore 20 ou 30 ans pour mesurer le réel impact des blessures sur la santé des combattants, nous confie l’un de ces médecins qui a préféré garder l’anonymat. Mais en près de 2500 combats, il n’y a jamais eu de mort. Les courses hippiques, qui sont très populaires ici en Angleterre, sont bien plus dangereuses.» En tout cas moins à la mode.
Garry Cook : Ce n’est pas à moi de dire s’ils ont raison ou tort. C’est leur opinion. Mais le monde est violent. Un combattant de l’UFC qui utilise des techniques de judo vous dira que cette discipline peut être dangereuse comme la boxe peut être dangereuse. Mais traverser les Champs-Elysées est également dangereux. Il n’y a jamais eu de blessure sérieuse à l’UFC. Nous avons créé nos propres règles pour faire du MMA l’un des sports les plus sûrs, pas l’un des plus violents.
Garry Cook : Je respecte cette interdiction mais les Français sont comme les autres, ils veulent avoir le choix. L’UFC est très populaire en France. Les fans français sont parmi les plus actifs sur les réseaux sociaux. Nous avons eu des discussions avec des représentants du gouvernement et des fédérations d’arts martiaux. J’aimerais penser que la levée de cette interdiction n’est qu’une question de temps. Mais cela dépend des personnalités des gens qui gouvernent. Certains sont réfractaires au changement. D’autres, au contraire, veulent œuvrer pour le développement du MMA, notamment auprès des jeunes. C’est important de les encadrer pour éviter une pratique clandestine. Tous les combattants de l’UFC et du MMA viennent des arts martiaux. La chose la plus importante est d’aider les arts martiaux et leur développement. Nous ne pouvons de toute façon pas arrêter la lame de fond qu’est l’UFC.
Garry Cook : Il y a autant de combattants différents que de footballeurs. Ce n’était pas la même chose de travailler avec Mario Balotelli qu’avec Carlos Tevez ou Yaya Touré qui ont chacun leur personnalité. Ce que je peux dire c’est qu’en football, les joueurs travaillent en équipe mais ils veulent tous en être la star. Les combattants, eux, se battent avant tout pour gagner leur vie. Leur approche mentale est différente. Dans l’octogone, ils sont seuls face à leur adversaire devant près d’un milliard de téléspectateurs potentiels qui scrutent leurs forces physique et mentale, leur engagement. Ceci implique un degré de discipline personnelle très différent.
Garry Cook : Tout doit tourner autour des fans et de leurs besoins. En football, les clubs veulent que les fans soient présents et paient leur place mais ils ne prennent pas assez soin d’eux. A l’UFC, les fans sont en contacts permanents avec les combattants via les réseaux sociaux. The Ultimate Fighter (ndlr, émission de téléréalité diffusée sur la chaîne Fox aux Etats-Unis) raconte le quotidien des combattants. Les fans suivent leurs efforts, découvrent quelle musique ils écoutent quelle nourriture ils aiment. Et ils apprennent à les aimer. Nous organisons aussi des événements durant lesquels ils peuvent assister aux entraînements des combattants, leur poser des questions, prendre des photos. L’expérience du fan prévaut.
Un dimanche de février à Bercy. Ils sont étudiant, analyste financier, ingénieur, conducteur de travaux ou encore gendarme et sont venus des quatre coins de la France pour participer à un cours de «Mixed Martial Arts» (MMA) dispensé par deux stars mondiales de la discipline : le Brésilien José Aldo et l’Américaine Miesha Tate. Moyennant 100 euros et pendant quatre heures, les élèves d’un jour – dont 10% de filles – pratiqueront leur sport favori avec leurs idoles et repartiront avec quelques bons conseils, un t-shirt et une photo souvenir. Le tout sans une égratignure.
Comme eux, ils seraient près de 50.000 Français à pratiquer régulièrement les Arts Martiaux Mixtes (MMA). Discipline mêlant les techniques de différents sports de combat et arts martiaux comme le judo, le ju-jitsu, le karaté, la lutte ou encore la boxe thaïlandaise, le MMA a été popularisé en France par l’Ultimate Fighting Championship (UFC), compétition-reine du MMA (voir plus haut) et gros succès d’audience télévisée. Une préconisation du CSA datant de 2005 interdit la diffusion de l’UFC en France. Ils sont pourtant jusqu’à 300.000 téléspectateurs à le regarder chaque dimanche soir en deuxième partie de soirée sur RTL9, une chaîne luxembourgeoise et donc non soumise aux règles du CSA. Séduits par le sport qu’ils regardent à la télé, beaucoup se mettent au MMA. «Avec la diffusion de l’UFC à la télévision et sur internet, la pratique du MMA a explosé en France», confirme Bertrand Amoussou. Problème, le MMA n’est pas reconnu par le ministère des sports. La cage dans laquelle les combattants de l’UFC s’affrontent et l’autorisation des frappes au sol choquent les autorités françaises.
«Des études de traumatologie démontrent que le MMA est beaucoup moins dangereux que la boxe anglaise», affirme Hugues Moutouh. Pratiquant de MMA, cet avocat de 46 ans a essayé de «pousser pour une reconnaissance de la discipline» à l’époque où il était directeur de cabinet de l’ancien ministre des sports, Bernard Laporte. En vain. Les ministres se sont succédé et le dossier est resté au point mort. «On fait du MMA dans des dojos ou des salles de boxe mais sa pratique est administrativement clandestine», résume l’ancien préfet de la Creuse.
Le MMA loisir est pourtant éloigné des combats de l’UFC. Auprès des 200 élèves qu’il entraîne au Lagardère Paris Racing, Bertrand Amoussou utilise «les techniques du MMA de compétition dans une forme éducative et ludique sans coups portés.» Ce proche de David Douillet enseigne le MMA à des élèves de Sciences Po, des membres du RAID et certains collaborateurs du gouvernement actuel. Et bientôt à des enfants.
Selon lui, les autorités «ferment les yeux sur le phénomène. N’importe qui peut ouvrir une association et faire du MMA. Il peut y avoir de la casse car ça reste un sport de contact. En tant qu’éducateur, le plus important pour moi c’est l’intégrité physique des pratiquants. Sans entraîneur diplômé, c’est dangereux», poursuit Amoussou qui préside aussi la fédération internationale de MMA (IMMAF).
Parmi les rares Français à avoir combattu à l’UFC, le néo-retraité Cyrille Diabaté milite aussi pour la création d’une fédération de MMA, «une structure officielle et la délivrance d’un diplôme reconnu de formateur». A la tête de la Snake Team, équipe française de MMA basée à Epinay-sur-Seine, le quadruple champion du monde de boxe thaïe revendique plus de 200 pratiquants loisirs de 18 à 45 ans dont une quinzaine de filles. Diabaté entraîne aussi une cinquantaine de combattants qu’il aimerait voir se mesurer au gratin du MMA à l’UFC. «On a besoin d’un statut de sportif de haut niveau. Il y a un potentiel énorme en France qui a toujours eu de bons résultats dans les sports de combat et les arts martiaux. Si les compétitions de MMA sont autorisées, on aura rattrapé le retard au bout de trois ans»,, assure celui qui a disputé – et perdu – son dernier combat à Londres le mois dernier. A 40 ans passés, il tire sa révérence sur un bilan équilibré de quatre victoires pour quatre défaites à l’UFC. Ses nouveaux projets : ouvrir une deuxième salle de MMA à Paris et faire du cinéma.
Les revendications des défenseurs du MMA sont souvent perçues d’un mauvais œil au sein des fédérations des sports de combat traditionnels comme le judo ou le karaté. Opposés au MMA, certains dirigeants jugent dégradante une discipline qui porterait atteinte à la dignité humaine. «Ils craignent surtout de perdre des licenciés au profit du MMA», estime Cyrille Diabaté.
Si l’UFC et le MMA n’ont pas le droit de cité en France, un acteur majeur du phénomène bat pourtant pavillon bleu-blanc-rouge. Créée il y a dix ans par Franck Dupuis, un passionné de karaté, la société Dragon Bleu est aujourd’hui l’un des leaders mondiaux du marché de l’équipement de MMA via sa marque Venum.
Pour Jean-François Bandet, la fin de l’interdiction des compétitions de MMA dans l’Hexagone – où Dragon Bleu ne compte qu’un seul magasin à Rungis – serait «la cerise sur le gâteau. Ça pourrait booster le marché français. Mais on a appris à vivre sans. On s’est développé sous contrainte.» Une contrainte sans laquelle la réussite de Dragon Bleu ne serait peut-être pas celle qu’elle est aujourd’hui. «On n’a pas eu le choix. Cela nous a poussés à tout de suite aller à l’étranger où le potentiel est plus important». Prochain objectif pour la PME : poursuivre son insolente croissance en développant notamment le sportswear pour femmes et lancer une gamme pour enfants, «très demandée» par les adeptes de la marque.
«Les filles, n’hésitez pas !»
Privés de tournois de MMA, les combattants français bénéficient tout de même d’une alternative nommée pancrace. Des compétitions de cette discipline, descendante du pankration des jeux antiques et chapeautée par la Fédération des sports de contact, sont régulièrement organisées en France. Seules différences avec le MMA : l’interdiction des coups au sol et un ring classique de boxe remplace la cage. 3.600 spectateurs ont ainsi assisté début avril à la salle Marcel-Cerdan de Levallois à la réunion 100% Fight où étaient programmés 14 combats dont deux féminins.
Florence Berthet : J’ai commencé par la boxe française à 18 ans en Alsace dont je suis originaire. J’ai ensuite fait un peu de judo. Puis je suis partie vivre à Lille où j’ai continué la boxe française. Là-bas, j’ai rencontré mon entraîneur actuel. C’est avec lui que je me suis mise au pancrace que je pratique depuis 2009. C’est la discipline qui se rapproche le plus du MMA. J’estime qu’il faut voir le verre à moitié plein. Il faut être content de pouvoir faire du pancrace en France. Le pancrace n’est pas un demi-MMA. Evidemment, les frappes au sol peuvent faire pencher un combat. Mais il n’y a pas que ça.Y-a-t-il beaucoup de filles à pratiquer le pancrace et le MMA en France ?
Florence Berthet : Non. Il y en a de plus en plus mais ce n’est pas assez. Dans mon club de Lille, il y a quatre sections et il n’y a qu’une à deux filles par section. Mais on insiste pour que les cours restent mixtes. Le sport est une projection de la vie. On ne doit pas mettre les garçons d’un côté et les filles de l’autre. Elles sont ou seront amenées à travailler avec des hommes. Pour moi, la pratique de ce sport comme des autres doit être un vecteur d’égalité. Elle permet de défendre la place de la femme dans la société. C’est important qu’elles soient appréciées pour leur technique et l’engagement qu’elles mettent dans leur passion. Pas seulement pour leur féminité. Et puis mon entraîneur me dit souvent que les filles travaillent plus et sont plus assidues !
Florence Berthet : Il ne faut pas qu’elles hésitent. Et si ça leur plait, qu’elles fassent confiance à leur instinct. Plus il y aura de filles plus les entraîneurs apprécieront de travailler avec elles. Ce n’est pas plus dangereux qu’un autre sport. Les quelques cours de boxe anglaise que j’ai pris m’ont beaucoup plus traumatisée que tous les cours de pancrace et de MMA auxquels j’ai pu participer. On ne travaille pas que sur le visage comme en boxe anglaise. Les risques sont donc moins importants car les zones de frappe sont plus nombreuses. Moi en cinq ans de pancrace, je ne me suis blessée qu’une fois : une luxation de la rotule à l’entraînement.
Dopage : l’heure du grand ménage ?
L’annonce a fait du bruit outre-Atlantique. Le 27 février dernier, la commission athlétique de l’état du Nevada a banni sur son territoire l’utilisation des thérapies de remplacement de la testostérone (TRT) dans les sports de combat dont l’UFC. Certains combattants affichant un déficit en testostérone avaient recours à ces thérapies pour remonter artificiellement leur taux. Une pratique légale assimilable à du dopage. Parmi eux, le Brésilien Vitor Belfort avait déclaré forfait pour son prochain combat dès le lendemain de l’annonce de la commission du Nevada pour se conformer aux nouvelles règles. «Le cas Vitor Belfort est une insulte au sport et au MMA. Il a pris des produits dopants toute sa carrière», assène Cyrille Diabaté. Pour l’ancien participant français, le dopage touche l’UFC «mais pas plus que dans les autres sports.» L’UFC et son président Dana White ont encouragé les autre commissions athlétiques à emboiter le pas à celle du Nevada et souhaitent étendre l’interdiction à l’international.
Le Brésil a fait savoir qu’il ne délivrerait plus d’autorisations d’usage des TRT à des fins thérapeutiques pour les combattants. «Nous soutenons cette décision (d’interdire les TRT). Nous avons une politique antidopage très stricte. Chaque athlète est contrôlé avant et après chaque événement UFC. Ce ne sont pas un ou deux contrôles au hasard comme dans d’autres sports. Si un combattant est contrôlé positif à un produit interdit, il y a sanction financière et suspension. Nous sommes fiers de notre politique antidopage», explique au Figaro Garry Cook, le vice-président de l’UFC pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. «Ce qu’il faut surtout, ce sont des contrôles inopinés. Car tant que l’on sera au courant des jours de contrôle et des produits contrôlés, la porte du dopage restera ouverte», estime pour sa part Cyrille Diabaté.
«Ce qui se passe avec le MMA aujourd’hui, c’est ce qu’a connu le judo dans les années 50, considère Bertrand Amoussou. L’Etat français critiquait ce sport dans les mêmes termes que la MMA et avait décrété qu’il fallait former des professeurs et créer un diplôme d’état pour le réguler.» Une structuration réclamée 60 ans plus tard par les défenseurs d’une discipline en plein boom et en quête de reconnaissance. «La loi sur le sport, dont la révision est en cours, traitera du MMA», annonce-t-on au ministère des Sports. Pour interdire sa pratique ? Hugues Moutouh est inquiet : «cela favoriserait une activité clandestine. On ferait du MMA dans les caves, les parkings. Ce serait dramatique».