La percée du Front national n’est pas un accident de parcours si on considère le rôle de la France sur la scène internationale, selon cet éditorialiste américain. Marine Le Pen incarne cette complaisance à peine voilée pour le Kremlin.
Par JOHN VINOCUR, THE WALL STREET JOURNAL
Les quatre chefs d’état-major (des armées, de l’armée de terre, de la marine et de l’air) menaçaient de démissionner en raison des coupes envisagées dans le budget de la Défense. Une organisation publique [Unédic], dans un démenti cinglant suite à la promesse présidentielle d’“inverser la courbe”, annonçait une nouvelle progression du chômage pour 2014 et 2015. Et la SNCF reconnaissait avoir commandé 2 000 nouveaux trains trop larges pour entrer dans quelque 1 600 gares du réseau.
A la lecture de ce paragraphe, certains esprits chagrins et sarcastiques pourraient se mettre à siffloter le tube de Phil Collins “Another Day in Paradise” [“Un jour comme les autres au paradis”].
Ce 25 mai, la France a sombré dans l’ignominie. Le Front national, parti d’extrême droite prétendument dédiabolisé, dirigé par une Marine Le Pen prétendument inoffensive, et proposant un programme anti-UE et anti-immigration, a infligé une défaite cuisante aux socialistes, au gouvernement et à l’opposition gaulliste lors des élections européennes.
Voilà un épisode sombre à ajouter sur la frise d’une histoire de France jalonnée, pêle-mêle, par les Lumières, la collaboration avec les nazis (dont certains fondateurs du FN faisaient l’apologie), sans oublier la participation résolue à la construction d’une Europe unie qui soit un acteur et un décideur mondial.
Déconnexion du gouvernement socialiste
Pourtant, ces résultats n’ont guère scandalisé. Comparée à la légitimité démocratique recherchée le même jour, et renforcée lors de la présidentielle ukrainienne, mais aussi aux progrès plus modérés enregistrés par les populistes ailleurs en Europe, la France a fait montre d’un nihilisme qui fait du tort à l’Occident et qui fait la joie de Vladimir Poutine.
A quelques jours du scrutin, le Premier ministre Manuel Valls avait appelé à une “insurrection démocratique” pour contrer ce qu’il qualifiait de choix de la haine et du rejet. En vain : une majorité d’inscrits ne s’est pas déplacée jusqu’aux bureaux de vote.
Les Allemands, qui selon les sondages voient dans les Français leurs meilleurs alliés et craignent de voir leur voisin se transformer en handicapé politique grincheux et ingérable, en ont pris bonne note. Martin Schulz, l’actuel président du Parlement européen [et candidat socialiste à la présidence de la Commission], n’y est pas allé par quatre chemins : “C’est un jour sombre pour l’Union européenne quand un parti au programme aussi raciste, aussi xénophobe et aussi antisémite rallie 25 % des votes en France.” Le correspondant de la Frankfurter Allgemeine Zeitung à Paris tire quant à lui des conclusions plus générales : “C’est l’aptitude à gouverner de la France qui est en jeu, et avec elle, la réputation du pays, en Europe et dans le monde.”
Mais, au fond, qui est Marine Le Pen ? A quoi faut-il s’attendre après la “dédiabolisation” de cette figure politique qui a su habilement exploiter la déconnexion du gouvernement socialiste, son incompétence économique et son incapacité à apaiser le sentiment de dépossession que ressent l’électorat ouvrier face à l’importante communauté musulmane immigrée en France ?
Pour ce qui est du rôle de la France sur la scène internationale, Marine Le Pen appelle de ses vœux la formation d’un axe Paris-Berlin-Moscou. Elle voit en Vladimir Poutine un “patriote” et, de retour d’un voyage préélectoral dans la capitale russe, semble aussi déterminée que le chef du Kremlin à neutraliser le rôle de force politique occidentale de l’UE.
Vladimir Poutine n’aurait pu rêver allié plus ouvertement et tranquillement déclaré. “Il a conscience que nous défendons des valeurs communes”, dit-elle de lui. Lesquelles ? “L’héritage chrétien de la civilisation européenne”, résume-t-elle.
Quant à l’image d’un Front national prétendument adouci et assaini, rappelons que Marine Le Pen a confié à son père le soin de s’en prendre aux musulmans, le même qui s’est chargé d’ouvrir ses meetings en “Monsieur Démago”. Le 20 mai, à Marseille, mettant en garde la foule contre les hordes d’immigrés venues d’Afrique s’apprêtant à fondre sur l’Europe, Jean-Marie Le Pen avait lancé que “Monseigneur Ebola [pourrait] régler ça en trois mois”. Avant, bien sûr, d’expliquer qu’il ne souhaitait nullement une recrudescence du virus.
Interrogé sur une éventuelle alliance avec Aube dorée, comme l’a proposé au FN le parti néo-nazi grec, et sur la position du parti français à l’égard de l’antisémitisme, le vice-président du Front national, Florian Philippot, n’a su fournir aucune réponse intelligible.
Un monde nouveau
Bien au contraire. Il suffit de voir la volonté insistante de la France à livrer les deux navires porte-hélicoptères de type Mistral qu’elle a vendus à la Russie, et qui les déploiera probablement en mer Noire.
Parallèlement, le ministre français des Affaires étrangères a tenu [le 13 mai], à la Brookings Institution à Washington, d’étonnants propos sur la marche du monde. Selon Associated Press, Laurent Fabius a souligné la nécessité pour l’Occident de ne pas se détourner de pays comme la Russie ou la Chine : “Ces pays jugent l’ordre international déséquilibré en faveur de l’Occident. Nous pouvons ne pas être d’accord, mais nous devons tenir compte de leur sentiment.” Ah bon ? Il faudrait rester les bras croisés ?
Dans ce monde nouveau où le Front national est le favori de l’électorat français, et pourrait prendre la tête d’un groupe parlementaire européen grassement subventionné par les contribuables, Vladimir Poutine peut compter à tout le moins sur Marine Le Pen pour être le porte-voix le plus retentissant de l’apaisement.
courrierinternational.com