Deux personnes ont trouvé la mort depuis 1989 sur les plages bretonnes, polluées aux algues vertes. Deux autres ont été grièvement blessées. La justice instruit deux de ces affaires. Les parties civiles espèrent l’ouverture prochaine d’un procès.
Depuis cinq ans, Claude et Jeanne Morfoisse attendent que la justice se penche sur la mort de leur fils. Le 22 juillet 2009, ce transporteur de 48 ans s’est écroulé au pied de son camion, frappé par un infarctus alors qu’il s’apprêtait à charger une quatrième cargaison d’algues vertes sur la plage de Binic, dans les Côtes-d’Armor. Son décès, d’abord considéré comme naturel par le procureur de Saint-Brieuc, serait-il lié à l’hydrogène sulfuré (H2S) dégagé par les ulves en putréfaction ? À forte dose, ce gaz est aussi toxique que du cyanure. Il entraîne en quelques secondes un œdème pulmonaire, le coma et un arrêt cardiaque.
Le 25 avril dernier, la juge d’instruction Aurélie Reymond, du pôle santé du tribunal de grande instance de Paris, a reçu la famille de Thierry Morfoisse, dans le cadre de sa plainte contre X pour « homicide involontaire ».
Elle leur aurait annoncé son intention de lancer de nouvelles investigations. Et pris bonne note du rapport du docteur Claude Lesné, spécialiste des polluants aériens, pour qui « l’inhalation d’H2S a, de manière quasi certaine, déclenché la survenue de l’infarctus ». Une bonne nouvelle pour toutes les victimes des marées vertes.
L’intoxication à l’H2S confirmée
En vingt-cinq ans, quatre accidents graves ont eu lieu en Bretagne, dont deux mortels. En 1989, un joggeur de 26 ans est retrouvé sans vie dans un amas d’algues à Saint-Michel-en-Grève (22). Dix ans après, au même endroit, un collecteur d’algues s’écroule au volant de son tracteur. Le quinquagénaire, sans aucun antécédent médical, passera cinq jours dans le coma.
2009 : deux nouvelles victimes, Thierry Morfoisse et Vincent Petit. Ce cavalier de 28 ans s’est enfoncé dans un mélange de sable et d’algues en décomposition à Saint-Michel-en-Grève. Après avoir perdu connaissance, il a été sauvé in extremis par un ramasseur d’algues. Son cheval, lui, est mort. L’autopsie a confirmé l’intoxication à l’H2S.
Malgré ce résultat, Vincent Petit, chercheur à Paris, attend toujours l’ouverture d’un procès pénal. « Trois magistrats se sont succédé pour instruire la plainte contre X pour “violences involontaires” et “atteinte à la vie d’un animal” que j’ai déposées en 2009 », dit-il. Le dossier, désormais entre les mains d’Aurélie Reymond, s’est étoffé. Il contient plus de 1 000 constitutions de partie civile « pour mise en danger de la vie d’autrui » de riverains et d’associations.
L’Etat accusé
Vincent Petit poursuit également l’État, qu’il accuse de ne pas avoir pris les précautions nécessaires. Il s’appuie sur un rapport de la Ddass de 2007 qui pointait les « niveaux de concentration atteints d’H2S » et recommandait une « information localisée et éventuellement l’interdiction d’accès » aux sites à risque.
Il évoque aussi ce courrier adressé aux communes par la préfecture pour « réglementer l’accès aux zones » impossibles à nettoyer. Contactée par La Croix, celle-ci n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Débouté en première instance, Vincent Petit espère obtenir gain de cause devant la cour administrative d’appel de Nantes au mois de juin. « Le lien de causalité entre la concentration d’H2S dans les poumons de mon cheval et les algues vertes n’avait pas été pris en compte en première instance. C’était pourtant aussi clair que de retrouver une balle dans le corps d’un cadavre : en général, c’est la balle qui a tué. »