Pauvres, vulnérables et pressés par la nécessité d’envoyer des fonds dans leur contrée, certains Roms réfugiés au Québec sont enrôlés dans de petits clans de voleurs. Leurs cibles favorites: les personnes âgées et les petits commerces comptant peu d’employés. Regard sur ce phénomène qui mobilise de plus en plus d’enquêteurs.
Par Vincent Larouche
Vous sortez du centre commercial et chargez vos emplettes dans le coffre de la voiture. Une dame s’approche doucement, avec son bébé. Elle est perdue. Gentiment, vous la renseignez. En signe de gratitude, elle vous offre un joli foulard et vous le noue autour du cou.
Vous ne vous en êtes pas rendu compte, mais vous venez peut-être de perdre le précieux collier de perles que vous a légué votre mère…
Voilà l’un des innombrables modus operandi des clans Roms qui s’adonnent au vol à la tire.
Pris individuellement, ces petits larcins sans violence ne font jamais l’objet de reportages. Mais mis ensemble, ils représentent un véritable fléau. Les autorités n’hésitent pas à utiliser le terme «crime organisé» pour décrire les bandes roms.
« Ils ne sont pas comme la mafia ou les Hells Angels, où on peut identifier un certain chef. Par contre, ils se déplacent ensemble pour commettre des crimes. Je les catégorise plus comme un clan ou une famille », a expliqué la sergente-détective Pascale Tremblay, du Service de police de la Ville de Montréal, lors d’une audience devant la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (CISR). On y débattait du sort d’une Rom menacée d’expulsion pour appartenance à une organisation criminelle, Angela Dragos.
«Ce sont des gens peu nantis, qui vivent de leurs vols. Ils ont des loyers à payer. Ils sont tellement pauvres et vulnérables qu’on les utilise. Il y a des gens qui les contrôlent, des leaders de cellules ici, mais selon moi, il y a des Roms ici qui sont sous l’emprise de chefs dans leur pays», indique une source bien au courant des enquêtes sur ce type de criminalité.
Autre particularité des bandes d’origine Rom, selon cette même source, c’est l’utilisation des enfants pour arriver à leurs fins. En Europe, de très jeunes enfants sont littéralement forcés de jouer les voleurs à la tire. Cela n’a pas été observé ici. En revanche, ils utilisent souvent des bambins «comme distraction auprès de leurs victimes». On voit également de plus en plus de jeunes qui commencent les vols dès l’adolescence.
Les suspects Roms ciblés par la police sont de grands voyageurs. Ils font des victimes à la grandeur de la province; ils mobilisent donc des policiers presque à temps plein à Montréal, à Laval et à la Sûreté du Québec.
Mais ce sont aussi de grands voyageurs à l’international. En regardant une fiche compilée par Interpol, la policière décrit le parcours d’Emil Dinut, 41 ans, qui s’est retrouvé dans la ligne de mire des autorités judiciaires en France, en Finlande, en République tchèque, en Roumanie, au Danemark, en Autriche, en Allemagne et en Suède, où il a purgé près de deux ans de prison, avant de débarquer au Canada.
Un travail à temps plein
«C’est leur travail à temps plein. Ils font ça toute la journée», résume-t-elle.
Le sergent Frédéric Jean, de la police de Laval, a décrit en entrevue quelques projets d’enquête de son service. Le premier s’intéresse à une série de vols du type décrit plus haut. Les victimes ont presque toutes plus de 60 ans, la plupart sont des femmes. Ce sont les bijoux qui intéressent ces voleurs.
«Une chaîne avec pendentif de 5000$, une chaîne et une bague de 2500$, une bague de 8000$, un bracelet MedicAlert pour épileptique en or de 1000$», énumère le sergent en lisant la description du butin de ces dizaines de vols.
«Les gens se rendent souvent compte du vol 15 minutes ou une heure plus tard. Et nous sommes persuadés que beaucoup de personnes ne rapportent pas le délit. On n’a assurément pas le portrait réel du phénomène», déplore-t-il.
Il croit que les gens âgés, moins méfiants, plus altruistes, sont les victimes idéales.
«En Europe, en voyant un Rom approcher avec une carte routière, les gens se sauvent. Ici, ils sont totalement inconnus, c’est pour eux un terrain vierge. Une victime qui se fait approcher par une femme avec un costume traditionnel et un enfant dans une poussette ne se méfiera pas», indique-t-il.
«Ils s’en prennent surtout à des gens âgés, qui ont le coeur sur la main, et ils vont les séduire. Ils leur disent: «mon enfant est à l’hôpital, je ne trouve plus mon chemin, aidez-moi.» Et les gens sont contents de les aider», a ajouté la sergente-détective Tremblay en entrevue avec La Presse.
Un autre projet d’enquête de la police de Laval, baptisé Enjeu, ciblait des voleurs «par distraction», dont plusieurs ont été arrêtés et accusés.
Des robes pour dérober
«Ils arrivent en grand nombre dans un commerce et vont distraire les employés, pendant que d’autres en profiteront pour faire des vols à l’étalage. Ils peuvent en profiter pour aller dans l’arrière-boutique voler du matériel, de l’argent ou des bijoux dans le coffre-fort», raconte le sergent lavallois.
Ceux qui volent sont souvent des femmes, vêtues d’une ample et longue robe traditionnelle dans laquelle elles ont cousu des compartiments pour camoufler le butin.
«Nous avons déjà observé 4 femmes voler 134 cartouches de cigarettes de cette façon», indique Frédéric Jean.
Un tenancier de dépanneur de l’Abitibi, qui s’est fait voler ainsi 5000$, a déjà appelé la sergente-détective Tremblay pour déplorer la situation.
«Le pire, c’est que le monsieur était content de les recevoir dans son commerce, il disait qu’il voyait peu d’immigrants chez lui et qu’il était content de servir ces dames en habits traditionnels», résume-t-elle.
Le fruit des vols est généralement écoulé par l’entremise d’un réseau de prêteurs usuraires ou de commerçants peu scrupuleux relativement à la provenance des bijoux en or qu’on leur apporte.
«Le fruit des vols leur sert à envoyer de l’argent dans leur pays, où leurs proches vivent dans la misère. Mais aussi à se payer du luxe. Ils portent ici de très beaux vêtements et lunettes griffés, ils louent de belles voitures et jouent beaucoup. Ils vivent généralement dans des appartements modestes», décrit la sergente-détective Tremblay.
Elle se dit incapable d’avoir une idée précise du nombre de Roms présents à Montréal et de la proportion d’entre eux qui vivent du crime. Certains arrivent, sont expulsés après avoir été arrêtés et avoir purgé une courte peine de prison; d’autres arrivent alors pour les remplacer.
Son travail d’enquête est un éternel retour à la case départ.