Papier d’Olivier Guez, écrivain et journaliste
Je pense à Brigitte Bardot depuis dimanche dernier, depuis que le Front National a récolté 25 % des suffrages exprimés aux élections européennes. Non pour les sympathies avouées de la star pour le FN, elle vote pour qui elle est veut, peu m’importe, mais plutôt parce que sa trajectoire m’apparaît comme une métaphore de celle de la France du demi-siècle passé. […]
Un beau jour de 1973, à même pas quarante ans, Brigitte Bardot a tout plaqué. Depuis, BB vit recluse dans sa propriété de la Madrague, entourée d’animaux.
Brigitte Bardot a tourné le dos au monde, un monde qu’elle craint, ne comprend plus et contre lequel elle peste régulièrement, les homosexuels, les musulmans, le métissage, l’ouverture des frontières, elle n’apprécie guère le potage mondialisé.
C’est pourquoi, ces derniers jours, je pense à Brigitte Bardot : son retrait du monde et son acrimonie dénotent un état d’esprit, celui de la France contemporaine, du rapport au monde des Français, un peuple de plus en plus frileux, replié sur lui-même et inquiet. […]
Depuis la chute du Mur de Berlin, un nouveau paradigme impulsé par les puissances anglo-saxonnes domine le monde. La société multiculturelle de marché triomphe. Avec son social-étatisme qu’elle ne parvient pas à réformer, la France nage à contre-courant et décroche. Elle n’est plus au centre du monde et l’Europe, parce que l’Allemagne s’est réunifiée et profondément modernisée, ne sera jamais une grande France. La Brigitte Bardot des nations a peu à peu perdu de ses charmes et vieillit mal. La France, névrosée et fâchée avec son époque, se replie sur elle même en tournant le dos au reste du monde : elle rêverait de pouvoir se retrancher derrière ses frontières comme Brigitte Bardot dans sa villa de la Côte d’Azur. Les Français détestent comme personne la mondialisation et l’accablent de tous les maux qui frappent leur pays – en avril 2012, ils étaient 82 % à l’estimer néfaste à l’emploi. […]
La France, mal dans sa peau, qui grogne et ronchonne, tourne en rond ; la France, où les procès en islamophobie, en homophobie, en européisme et en sorcellerie de toute sorte ne se comptent plus, souffre du syndrome de Brigitte Bardot.