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Il y a 200 ans, Louis XVIII octroyait une Charte constitutionnelle aux Français, reconnaissant entre autres l’égalité de tous les Français devant la loi et la liberté (théorique) de la presse.

Louis XVIII

Louis XVIII vu par deux contemporains aux opinions contraires : l’historien et journaliste légitimiste Alfred Nettement (1805-1869) et le général bonapartiste Bon de Thiébault (1769-1846).

Louis XVIII vu par Alfred Nettement : “ce prince était surtout admirable dans ses rapports avec les souverains étrangers”

« Louis XVIII menait une vie réglée dont toutes les heures avaient leur emploi fixé d’une manière invariable. Il se levait de bonne heure, assistait à la messe tous les jours, lisait les journaux, recevait la famille royale dans son cabinet et passait avec elle dans la salle où le déjeuner était servi, mangeait très sobrement, travaillait avec ses ministres, et sortait en carrosse dans l’après-midi quand le temps le permettait. Après la messe, il paraissait au balcon, et, dans ces premiers temps, il était toujours salué par les acclamations de la foule, ou bien se montrait, assis dans un fauteuil, aux troupes qui défilaient la parade dans le Carrousel. il y avait des jours pour les réceptions particulières, soit pour ceux qui avaient obtenu des audiences, soit pour les hommes et les femmes qui avaient les honneurs du Louvre : ces distinctions avaient reparu. Il y avait aussi des réceptions pour les différents corps qui apportaient des adresses. Les adresses étaient innombrables ; non-seulement les corps constitués, mais les villes, les communes, envoyaient présenter au Roi l’expression de leur dévouement.
L’extérieur physique du Roi, son embonpoint énorme, ses infirmités, ajoutaient aux difficultés de sa position politique, en prêtant à des comparaisons qui n’étaient point à son avantage, et qui prévenaient contre ce monarque impotent ceux qui avaient connu la redoutable activité de Napoléon, semblable à ces dieux homériques traversant le monde en quatre enjambées. Mais si la Perspective était contre Louis XVIII, il reprenait ses avantages avec ceux qui l’approchaient. Il avait dans la conversation particulière, comme dans ses réponses aux adresses et ses discours publics, l’opportunité des idées, la connaissance parfaite des sentiments, la propriété des termes, la dignité du geste et du regard, la majesté du maintien, jointes à un organe qui donnait un nouveau prix à ses paroles. Les serviteurs mêmes de Napoléon n’étaient pas les derniers à convenir, on l’a dit, qu’ils avaient vu se révéler dans le monarque infirme et valétudinaire, la première fois qu’il les avait admis en sa présence, un prestige dont Napoléon lui-même ne leur avait pas donné l’idée. […] Mais ce prince était surtout admirable dans ses rapports avec les souverains étrangers. Ce monarque impotent, désarmé, sans soldats, dans sa capitale envahie, sut imposer tellement à l’empereur Alexandre, le chef de la coalition européenne, que celui—ci vint deux fois aux Tuileries sans oser lui demander un siège dans la Chambre des pairs pour le duc de Vicence, à qui il avait promis de faire cette démarche en sa faveur, et à l’occasion duquel M. de Talleyrand, le czar le savait, avait essuyé un premier refus. Le sentiment que Louis XVIII avait de la prééminence de l’auguste maison de France sur toutes les autres ‘maisons souveraines de l’Europe lui donnait, dans ses rapports avec les rois coalisés, une véritable grandeur qui relevait et consolait la dignité nationale affligée par nos désastres militaires. A ceux qui lui faisaient quelquefois sentir qu’ils étaient vainqueurs, il faisait sentir qu’il était l’aîné des races royales. »
Alfred Nettement, Histoire de la Restauration, t. I, Paris, chez J. Lecoffre, 1860, pp. 343-346.

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Louis XVIII vu par le général Bon de Thiébault : une “espèce de revenant sorti tout droit du néant pour substituer au premier trône du monde un fauteuil d’hôpital”

« Quant à Louis XVIII, de qui j’avais sollicité nécessairement une audience particulière et par qui je fus reçu avec une fournée de quarante autres personnages, je ne fis, en présence de son entourage vraiment théâtral, que passer devant une masse composée de son fauteuil et de lui, de sorte que j’avalai la phrase que j’avais tripotée pour lui dire que le bonheur dont la France lui serait redevable ne lui dévouerait personne plus que moi, et il se borna à un coup de tête en retour du profond salut auquel je me trouvai réduit. Mais, s’il ne parla, son regard et l’ensemble de sa figure nous dirent plus que des paroles et que les grimaces des autres n’avaient pu nous en révéler.
La tête et la physionomie de ce roi étaient d’autant plus dignes d’observation et d’études que toute la vie de son corps semblait y être réfugiée. Le volume de son crâne avait en plus ce que celui de son frère, entièrement aplati par derrière, avait en moins ; sa physionomie fine, sardonique, mais mauvaise, peignait à la fois l’aptitude au mal et le goût du mal. Il y avait alors en lui de fatales harmonies, d’effrayants sourires (les uns disaient du vieux singe, les autres du tigre) ; mais il y avait aussi en lui une ferme volonté de mourir sur le trône et ce qu’il fallait d’esprit et de prudence, ou plutôt de dissimulation, pour ne pas le vouloir en vain ; la fortune lui en offrit le moyen, grâce aux aberrations de Napoléon.
Louis XVIIl me sembla donc d’autant plus menaçant qu’il le paraissait moins, et, à la duchesse près, les autres me parurent d’autant moins dangereux qu’ils se montraient plus hostiles. Mais comment eût-il été possible d’arrêter en ce moment regards et pensées sur le Roi, et d’échapper à une sorte de parallèle entre lui et le géant auquel il succédait, parallèle que les choses, les lieux et les personnes rendaient plus piquant.
C’était en effet dans ce palais même des Tuileries, encore garni du mobilier de Napoléon, seule conquête que les Bourbons eussent faite en personne, c’était dans ce palais que pour la dernière fois j’avais vu le grand homme et pour la première fois je me trouvais en face de son successeur, espèce de revenant sorti tout droit du néant pour substituer au premier trône du monde un fauteuil d’hôpital. Comme souverain, l’un d’eux ne comprenait de bornes à son empire que celles du monde qu’il avait rempli et assourdi de sa gloire : l’autre, effrayé de l’étendue de la France même resserrée en deçà de ses anciennes limites, la trouvait trop grande encore pour ses forces de podagre quand, se traînant avec peine appuyé sur une béquille, il arrivait épuisé au seuil de ses appartements. L’un, fier et superbe, avait commandé aux maîtres de la terre, et l’autre, dans le servage de ses alliés et de ses infirmités, subissait les lois que son devancier avait données ; il bornait les attributs de sa couronne à une royauté de police, dont plus tard il fit une royauté de persécution et d’échafauds. »
Charles X :
« Pour le duc de Berry [le général semble commettre une erreur sur le titre, il parle ici du futur Charles X], réduit pour toujours à l’A b c de son métier de prince, il substituait une familiarité parfois choquante à de la dignité, une grossièreté véritable à de l’aisance, et semblait un portefaix jouant le rôle d’un baron ; mélange d’inconvenances et d’injures qui, un jour que nous sortions ensemble du Château, arracha cette exclamation à l’exaspération du général Préval : « Je n’entre jamais ici sans humiliation, et je n’en sors jamais sans colère. » »
Général Bon de Thiébault, Mémoires, t. V, 1895, pp. 228-230.

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Bonus : “Vive le roi quand même !”, chanson chantée sous la Restauration

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