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Marquée par des siècles d’esclavage, la société brésilienne reste profondément inégalitaire pour les Noirs et les métis, malgré l’instauration récente d’une politique de quotas. […] Racistes, les Brésiliens ? Oui, répondent 91% d’entre eux. Mais quand on leur demande s’ils ont eux-mêmes des préjugés de race, seuls 3% l’admettent. Les racistes, ce sont les autres.

Le Brésil fut le pays le plus esclavagiste du continent américain. Sa population de couleur est de ce fait la plus importante au monde hors d’Afrique. Les Noirs et les métis représentent un peu plus de la moitié (50,6%) des 200 millions de Brésiliens. Ce sont les Afrodescendentes que l’on appelle aussi Negros. Ici, il n’y a jamais eu de ségrégation raciale institutionnalisée, du moins depuis la fin de l’esclavage, en 1888. Le racisme à la brésilienne est même «cordial», selon une formule consacrée.

Un racisme voilé, occulté par la chaleur des relations humaines et donc plus difficile à combattre, selon le mouvement noir. «On parle foot ensemble, mais chacun est censé connaître sa place», résume l’anthropologue José Jorge de Carvalho. Ce qui vaut d’ailleurs aussi pour les pauvres de race blanche, car la condition sociale est également un facteur de discrimination.

L’esclavage, comme l’explique en substance Alain Rouquié (1), que le Brésil fut le dernier pays indépendant à abolir, a façonné l’identité nationale et continue de peser sur les mentalités et les comportements. […] L’ancien président centriste Fernando Henrique Cardoso (1994-2002) avait été le premier à reconnaître le racisme, que même la gauche s’obstinait à nier, rappelle l’anthropologue Jacques d’Adesky. Le mythe de la «démocratie raciale» que serait le Brésil volait alors en éclats.

Malgré des progrès, les inégalités raciales persistent. La plupart des pauvres sont de couleur. Le nombre d’années de scolarité des Noirs et métis reste inférieur à celui des Blancs. Le taux d’analphabétisme est presque cinq fois plus élevé parmi eux. Même à formation égale, leur salaire est moins élevé. Dans les postes d’encadrement comme en politique, ils ne sont qu’une petite minorité. Moins de 10% des députés et un seul et unique sénateur sont de couleur. Dans le gouvernement de Dilma Rousseff, la protégée de l’ex-président Lula, il n’y a qu’une seule ministre noire et encore, celle-ci est confinée au portefeuille de l’Égalité raciale.

Un nuancier de 136 couleurs

Une fois libres, les anciens esclaves ont été livrés à eux-mêmes. Rien n’a été fait pour les intégrer. Le débat n’a démarré qu’en 2001. Profitant de leur autonomie, des universités publiques commencent alors à préserver des places pour les jeunes de couleur (comme pour les Indiens, minorité totalement oubliée), sur le modèle de l’affirmative action pratiquée aux États-Unis. […]

Dans les années 70, les Brésiliens, invités à déclarer leur couleur de peau, avaient répondu par un nuancier de 136 couleurs, comme branquinha («bien blanche»), queimada de praia («brûlée de plage»), cor-de-ouro («couleur d’or») ou encore puxa-para-branco («tendant vers le blanc»).

«Une révolution silencieuse»

[…] Les métis, qui forment le gros des Afrodescendentes, ne se sentent pas forcément noirs. L’ex-joueur Ronaldo s’était même déclaré blanc, à la surprise générale. L’idéal du blanchiment a la vie dure. Depuis quelques années, cependant, la négritude s’assume plus facilement. Les politiques de quotas y ont contribué, les candidats devant se déclarer de couleur pour en bénéficier. Pour Jacques d’Adesky, «une révolution silencieuse est en marche au Brésil. Il n’y aura pas eu besoin de faire couler le sang comme aux États-Unis». Les mesures de réparation envers les descendants des esclaves se multiplient en effet et devraient permettre à terme d’élargir la classe moyenne de couleur.

Depuis 2013, les quotas sont devenus obligatoires dans les universités fédérales, qui forment l’élite du pays. La loi mélange critères raciaux et sociaux. Elle réserve la moitié des places aux élèves de l’école publique, indépendamment de leur appartenance ethnique. Un «sous-quota» est destiné explicitement à ceux qui sont de couleur ou indiens, au prorata de la représentation démographique de leur groupe ethnique dans tel ou tel État du Brésil.

Pour le mouvement noir, c’était la seule façon d’éviter la discrimination. Sans le critère racial, les élèves blancs du public risquaient, selon lui, de rafler toutes les places. Le gouvernement vient également de faire voter une loi similaire, qui réserve aux Afrodescendentes 20% des places dans les concours pour les postes de l’administration publique fédérale.

A la télévision aussi, les choses bougent. Les telenovelas, les feuilletons télévisés, s’ouvrent aux acteurs de couleur et ne les confinent plus aux rôles de la bonne ou du bandido. Et les Negros ont maintenant un symbole : Joaquim Barbosa, président de la Cour suprême. Premier Noir à siéger à la plus haute cour du pays, il avait été nommé par Lula… avant de condamner pour corruption les responsables de la formation de l’ex-président, le Parti des travailleurs. Son intransigeance, dans un pays où règne l’impunité, en a fait un héros national. Bien des Blancs l’auraient vu président. […]

(1) «Le Brésil au XXIe siècle : naissance d’un nouveau grand», éditions Fayard, 409 pp., 24 €.

Libération

(Merci à Erwinn)

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