L’ampleur des activités humaines est telle que nous modifions notre climat, l’ensemble des écosystèmes mais aussi le relief terrestre et pas seulement via l’aménagement du territoire mais indirectement à cause de l’extraction de plus en plus intense des eaux souterraines.
A ce sujet, le professeur Pascal Audet du Département des sciences de la Terre et une équipe de chercheurs dirigée par le professeur Colin Amos de l’Université Western Washington viennent de publier une nouvelle étude dans la revue scientifique Nature. Celle-ci trace un lien direct entre l’extraction des eaux souterraines et le soulèvement de la chaîne Côtière[1] et de la Sierra Nevada en Californie (Etats-Unis), ce qui risque de faire augmenter le nombre de petites secousses sismiques le long de la faille de San Andreas, non loin de là.
L’étude s’est penchée sur la vallée californienne de San Joaquin où l’extraction de l’eau est telle que l’aquifère ne parvient plus à se régénérer. Le pompage, l’irrigation et l’évapotranspiration dans cette zone pendant 150 ans a entraîné la perte de 160 km3 d’eau souterraine. Résultat : le fond de vallée s’est affaissé rapidement et le terrain aux alentours s’est soulevé de 1 à 3 mm par an, notamment au sud de la vallée.
Le rôle du professeur Audet dans cette étude consistait à reproduire le mouvement ascendant de la croûte terrestre causé par l’extraction des eaux souterraines afin de l’apparier au modèle de rehaussement mesuré à l’aide de données GPS. Son modèle a ensuite servi à calculer les effets des mouvements terrestres sur les pressions exercées sur la faille de San Andreas. Effectivement, les modélisations réalisées correspondent bien au soulèvement observé en fonction des pertes en eaux souterraines. C’est notamment visible avec la saisonnalité : lorsque l’été est sec ou l’automne humide, le fond de vallée s’affaisse ou se soulève, respectivement.
Selon les scientifiques, ces résultats suggèrent qu’à long terme et à la fin de l’été, cela accentue les pressions sur la faille de San Andreas, ce qui pourrait affecter les taux de sismicité à long terme sur les systèmes de failles adjacents à la vallée. Ainsi, le soulèvement contemporain observé au sud de la Sierra Nevada qui était précédemment attribué aux forces tectoniques est en partie la conséquence de l’épuisement des eaux souterraines causé par l’Homme.
Au final, les chercheurs montrent qu’en plus de modifier les couches liquides externes de la Terre, y compris l’atmosphère et les océans, l’activité humaine déforme également la croûte terrestre. De telles causes « non naturelles » de déformation deviendront sans doute de plus en plus courantes puisque l’on prévoit une augmentation des besoins en eaux souterraines à des fins agricoles, urbaines et environnementales en raison des changements climatiques.
Tout procédé à grande échelle – d’origine naturelle ou humaine (p. ex. l’extraction des ressources) – qui redistribue de la matière sur la surface de la Terre risque de déformer le sol.
“Au Canada, l’immensité du Bouclier canadien peut contribuer à prévenir les grands mouvements terrestres et nous protéger des effets connexes tel que les tremblements de terre,” explique le professeur Audet. “Toutefois, cette étude préconise une surveillance et une modélisation accrues des mouvements terrestres dans les secteurs d’activité industrielle intense.”
_____________________________________________
Notes :
La chaîne Côtière (en anglais : Coast Mountains ou officieusement Coast Range) est une vaste chaîne de montagnes qui s’étend à travers la Colombie-Britannique et le Yukon au Canada, et l’Alaska Panhandle aux États-Unis, dans la continuité des Coast Ranges aux États-Unis. Son plus haut sommet est le mont Waddington (Mount Waddington).