Tribune d’Alain Touraine (sociologue des “nouveaux mouvements sociaux”) Réinventons le politique» dans laquelle il souhaite des «décisions, des réformes, des innovations» pour «empêcher les ruptures et la violence et apprendre à nouveau à vivre ensemble».
Ces catégories populaires ne se battent plus contre les riches. Elles se battent pour leur survie et pour ce mot qui porte toutes les catastrophes et tous les crimes : leur identité.
Les récentes élections montrent avant tout un écroulement de notre système politique. Ce qui frappe l’opinion est la montée rapide du Front national. Nous avons vécu pendant un siècle dans une société industrielle, dans laquelle les acteurs politiques correspondaient aux acteurs sociaux les plus importants. Or nous en sommes sortis. Ce n’est plus en termes sociaux qu’on peut comprendre les conduites politiques ou culturelles. Et le fait premier est la mondialisation.
La France est divisée entre ceux qui vivent dans les zones de communications mondialisées et ceux qui sont rejetés à la périphérie, qui croient être attirés par la vie rurale et qui se trouvent isolés dans les zones sans emploi ni service public, où le prix de l’essence les jette vite dans la misère. Grand renversement.
Qui ne souffre pas de voir la froideur ou, au mieux, la tiédeur avec lesquelles on parle des problèmes de la jeunesse, à l’école, dans l’université, sur le marché du travail ? Nous voyons monter partout dans le monde l’obsession de l’identité, la peur de l’autre, l’assassinat des minorités. Contre ce triomphe glacial de la mort et de l’interdit, seule la passion de la diversité, mais fondée sur la croyance en l’universalisme des droits fondamentaux, peut nous faire choisir l’ouverture au lieu de la fermeture, l’innovation au lieu du refus. […]
Nous avons besoin de décisions, de réformes, d’innovations, mais beaucoup plus encore, et de manière urgente, de volonté et de capacité d’agir pour empêcher les ruptures et la violence et apprendre à nouveau à vivre ensemble.
Le Monde