Après l’interdiction du purin d’ortie et l’idée géniale de faire du rosé en mélangeant du rouge et du blanc, la Commission européenne s’apprêterait à pousser encore un peu plus le bouchon. L’idée est d’interdire la culture de semences non approuvée par une nouvelle autorité. Les jardiniers sont… atterrés.
Les amoureux de la terre en ont plein les bottes. Dans le but de réduire les risques de contamination par la nourriture mais aussi par les bactéries, toxines et divers agents pathogènes pour l’homme, la Commission européennes mitonne une loi. Elle envisage sérieusement de rendre illégal le simple fait « cultiver, reproduire ou faire commerce » les semences non référencées par la nouvelle Agence pour l’EU sur la diversité des plantes. Au nom du principe de précaution, la « loi sur les matériaux de reproduction des plantes » va tout simplement rendre illégale la tradition de sauvegarder des graines d’une génération pour les semer l’année suivante. En clair, il faudra obligatoirement acheter des semences approuvées par l’Europe pour faire son jardin.
« 10 000 ans d’histoire balayés »
Interrogé sur cette question, le député européen José Bové estime que « la biodiversité est en danger (…) En réduisant les droits des paysans à ressemer leurs propres semences, en limitant l’échange de graines entre associations et planteurs, la Commission européenne balaye 10 000 ans d’histoire agricole. Le nombre incroyable de variétés végétales dont nous disposons aujourd’hui repose sur le travail de sélection de 400 générations de femme et d’hommes ». Sur Internet, une pétition alerte contre cette loi qui aurait pour objectif « de nous transformer en esclaves de la nourriture génétiquement modifiée et condamner tout espoir de culture agricole durable ».
Dans les jardins locaux aussi cette éventualité provoque un tollé. A Bois-Arnault où l’on prépare une bourse aux plantes samedi 17 mai, Bernard se dit que « tout est orchestré par les groupes de semenciers qui veulent tout maîtriser et tout normaliser ». Avec son potager très « nature », Bernard n’est pas vraiment un client pour eux « et c’est sans doute les gars comme moi qui les dérangent. Ici, nous n’achetons quasiment pas de graines et nous sommes quand même autonome pour notre table d’hôte ».
La fin des blettes ?
Bernard ne cache pas son intérêt pour les « variétés de plantes anciennes qui ont la bonne idée de se débrouiller toutes seules », et cite notamment l’arroche, une salade un peu oubliée qui apporte toutefois de la variété dans les assiettes. Dans le jardin de Bernard à l’Oraille, on trouve du céleri perpétuel, des blettes, des cardons et des topinambours. « Si cette loi passe, vous croyez vraiment que l’Europe va m’envoyer quelqu’un pour empêcher mes plantes de se resemer toutes seules ? C’est assez ridicule. L’Europe ferait mieux d’inciter les gens à s’équiper en récupérateur d’eau de pluie et en composteurs ».
Sans doute mais, si les lobbies atteignent leur but, un simple troc jardin où l’on échange des plantes et surtout beaucoup de conseils sera interdite. « Qu’est-ce que l’on fait de mal ? Cela va vraiment trop loin », s’insurge Bernard. Si certains reconnaissent toutefois « qu’il est normal que les créateurs de nouvelles variétés veuillent protéger leur travail », la majorité des jardiniers dit « stop à la normalisation à outrance ».
« Pas d’inquiétude à avoir »
C’est notamment le message des responsables des Jardins familiaux de L’Aigle, exaspérés par « cette démarche purement commerciale. Les semenciers veulent être sûrs de vendre tout ce qui pousse sur terre. Le plus incroyable, c’est qu’ils pensent que tous les jardiniers amateurs font leur petite cuisine chez eux alors que c’est loin d’être le cas » s’amuse presque le président, Guy Daigneau. Pour faire ses propres graines, « c’est quand même pas mal de travail. Il faut laisser monter en graine, faire sécher et sélectionner. Non, la plupart des jardiniers achète des graines, les semenciers n’ont pas d’inquiétude à avoir ».
Aux Jardins familiaux aiglons, on se demande « pourquoi l’Europe s’acharne à vouloir taper sur les particuliers qui cherchent seulement à s’en sortir. Ici, dans notre règlement intérieur, il est dit qu’il est interdit de vendre sa production et par conséquent d’en faire un commerce. De toute façon, les gens cultivent pour consommer, voire pour donner, mais pas pour revendre ». Sauf que si la loi est appliquée un jour, même le don sera illégal.
« On marche sur la tête. Mais c’est tellement plus facile de s’en prendre à des jardiniers amateurs qui protègent la nature plutôt qu’à des multinationales qui salissent l’environnement… ».