Une décision de justice américaine somme Buenos Aires de rembourser des fonds spéculatifs.
«La crise, chez vous, c’est la panique. En Argentine, c’est un peu une maladie chronique…», ironise Marcelo, 46 ans, à la tête d’une entreprise de bâtiment à Buenos Aires. Un humour noir habituel dans ce pays abonné aux tempêtes économiques qui n’efface pas une certaine inquiétude alors que le pays se trouve au bord du défaut de paiement.
En ce mois de Mondial de foot qui a tendance à éclipser toute autre actualité, l’affaire a fait la Une de la presse toute la semaine. Et vendredi, jour de fête de nationale, les traditionnels défilés se sont teintés de manifestations contre ceux qu’on surnomme ici les «fonds vautours». «Ces fonds représentent 1 % des créanciers du pays et ils sont en train de ruiner nos efforts pour solder notre dette», déplore Angela, maîtresse d’école.
Exclue des marchés
En 2001, l’Argentine ruinée tombe en faillite. En 2005 et 2010, elle convainc 93 % de ses créanciers privés d’effacer 70 % de leur dû. Mais des fonds spéculatifs refusent le deal et se tournent vers la justice américaine, qui, au terme d’un long feuilleton, vient de leur donner raison. L’Argentine est sommée de leur verser 1,5 milliard de dollars d’ici à fin juin. Et comme d’autres créanciers peuvent demander à être traités de la même façon, ce sont 15 milliards qu’elle devrait débourser fin juin.
Impossible pour un pays dont les réserves de change ne dépassent pas 28 milliards. Mais s’il ne paye pas, les versements prévus aux créanciers qui ont accepté la décote seront bloqués par la justice américaine. Techniquement, le pays se retrouvera donc en défaut de paiement.
Dans le monde des affaires, on tente de suivre l’affaire avec calme. «Cela n’a rien à voir avec la crise de 2001, temporise le consultant Eric Mitondale. Être en cessation de paiement risque surtout de nous exclure un peu plus des marchés financiers.»De fait, depuis 2001, le pays est pratiquement interdit d’emprunt. Jusqu’ici, il a survécu sans y recourir, avec même une forte croissance jusqu’en 2011.
Mais l’activité a ralenti. Les réserves de change sont en chute libre et l’inflation dépasse les 30 % annuels. «Le pays a désormais besoin d’un peu d’air», ajoute Juan Pablo Ronderos, du cabinet Abeceb. Des entreprises comme YPF cherchent notamment des investissements étrangers pour développer l’exploration dans le secteur pétrolier et résoudre le déficit énergétique qui plombe le pays.
Le gouvernement le sait. La preuve, depuis six mois, il a fait des efforts pour normaliser ses relations internationales. Il est parvenu à un accord avec le tribunal de la Banque mondiale, avec ses créanciers – publics – du Club de Paris, et a négocié avec la compagnie espagnole expropriée Repsol.
Pour que ces efforts ne soient pas vains, les Argentins espèrent que le gouvernement, qui a toujours refusé de discuter avec les fonds vautours, négocie intelligemment. Si l’Argentine y parvient vite, elle aura résolu presque tous ses vieux problèmes de dette et une page se tournera. Si le conflit se prolonge, une nouvelle phase d’instabilité risque de s’ouvrir.