Extraits de l’entretien accordé par Jacques Attali au Bondyblog
[…] Vous dites qu’ « avec les nouvelles technologies et l’évolution des marchés, nous sommes tous en train de devenir des intermittents ». Êtes-vous en train de devenir un intermittent Mr Attali ?
J’ai toujours été un intermittent, enfin presque toujours. Un intermittent c’est quelqu’un qui fait plusieurs choses à la fois, qui n’est salarié de personne et qui a plusieurs activités. J’ai la chance à mon âge de n’être pas tellement en situation précaire, mais
je pense que tout le monde, mis à part les fonctionnaires, doit s’habituer à l’idée de se débrouiller, de créer sans cesse son propre emploi, d’avoir plusieurs emplois en même temps, de ne rien attendre de personne. C’est ça qui est l’avenir et ce n’est pas une situation négative, mais une situation positive.
[…] La création d’entreprise pour les classes populaires, c’est très dur !
Ce n’est pas vrai. Nous avons justement créé dans certains quartiers, dont Bondy, des organisations qui s’appellent PlaNet Finance, qui aide les entrepreneurs en banlieue. On aide des jeunes à monter leurs entreprises en leur donnant des conseils, en faisant leurs business plan, en faisant des études de marché, en finançant leur projet… On a monté 2000 entreprises et on va continuer à en créer beaucoup plus encore.
[…] Dans votre article « jeunesse délaissée », vous évoquez le besoin d’améliorer la qualité des services publics, en les rendant plus humains. Dans d’autres, vous prônez des réductions dans les dépenses publiques. N’est-ce pas paradoxal ?
Ce que nous faisons dans les quartiers : on aide les jeunes à créer leurs entreprises avec très peu d’argent public, et de façon très efficace. Parce que la création d’une entreprise avec une situation pérenne pendant plus de trois ans coûte la même chose que ce que coûterait le chômeur à l’État. Donc il ne faut pas réduire les dépenses pour faire moins. On peut faire mieux en dépensant bien.
Les banlieues sont les grandes déçues du quinquennat Hollande : rien contre le contrôle au faciès, droit de vote des étrangers passe à la trappe… Quelles mesures pour améliorer la vie des gens dans les banlieues ?
D’abord, je ne sais pas si le contrôle au faciès existe, mais quand il arrive quelque chose comme ça, il faut porter plainte.
Le droit de vote des étrangers non communautaires a été promis depuis longtemps donc j’espère qu’il aboutira. Mais je rappelle qu’il y a un moyen très simple d’avoir le droit de vote : c’est d’être français. Personne n’est interdit du droit de voter. Il suffit juste de demander la naturalisation, ce qui est plutôt facile, les examens ne sont pas si difficiles que ça.
Le problème c’est surtout de créer les conditions pour améliorer le logement, notamment avec l’excellente structure L’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine). C’est une structure publique qui fait un travail formidable pour l’urbanisme et l’amélioration des conditions de logement. L’autre organisation qui s’appelle l’Acsé (Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l’Égalité des Chances) est moins efficace. Elle est censée animer les quartiers, donner de l’argent aux associations…
Vous avez des idées pour les banlieues, mais on a l’impression que depuis toujours, ce n’est pas la priorité des gouvernements successifs. Pourquoi ? Et pourquoi ne pas avoir porté ces idées quand vous étiez proche du pouvoir ?
On a fait des choses. Dès 1981-82, on a pris conscience de cela. D’ailleurs, il y a même eu des manifestations très violentes dans les quartiers à ce moment-là. On a créé une mission dans les quartiers, qu’avait dirigée Gilbert Trigano, patron du Club Med. On avait lancé beaucoup d’efforts, qui ont été insuffisants.
Moi j’ai très confiance dans les quartiers et je pense qu’ils sont l’avenir de la France.
[…] Dans l’article « Débrouillez-vous », vous écriviez « Faites comme si vous n’attendiez plus rien de la politique ». C’est-à-dire ? Car vous faites aussi partie de la sphère publique.
« Faites comme si vous n’attendiez plus rien de la politique », ça ne veut pas dire que la société n’est pas là pour vous, que rien ne viendra. Mais cessez de croire que réclamer est votre seule action. Par exemple, si vous cherchez un travail, vous pouvez chercher un emploi de fonctionnaire ou créer votre propre entreprise.
En ce moment, il y a des mouvements populaires importants avec les cheminots ou les intermittents. Qu’est ce que vous pensez de ces gens qui expriment un ras-le-bol complet de la société ?
D’abord, c’est une toute petite partie des cheminots, 90% d’entre eux ne faisaient pas grève. Quant aux intermittents, c’est tout à fait nécessaire, ils sont absolument utiles, mais comme dans tout, il y a des abus. Il y a de faux intermittents qui sont en fait des « permitents », des permanents intermittents et il faut chasser les abus. Quand des personnes sont en situation de pouvoir bloquer, comme eux, ils sont particulièrement visibles dans leurs manifestations, mais il y a des gens qui ont moins de pouvoir de nuisance et qui auraient peut-être plus de raisons de manifester.