L’exposition de la population aux perturbateurs endocriniens (PE) coûterait environ 4 milliards d’euros par an au système de santé français (31 milliards d’euros au niveau européen).
C’est l’une des conclusions d’un rapport préparé par deux économistes et rendu public mercredi 18 juin par l’Alliance pour la santé et l’environnement (Health and Environment Alliance, HEAL), une organisation non gouvernementale européenne qui rassemble une soixantaine d’associations de la société civile, de syndicats de soignants ou de mutuelles.
Les perturbateurs endocriniens sont des substances ou mélanges de substances qui peuvent perturber une ou plusieurs fonctions du système hormonal et ainsi accroître le risque de problèmes de santé. Les plus célèbres d’entre eux sont le bisphénol A (BPA), certains phtalates, certaines dioxines, le célèbre insecticide DDT, les polychlorobiphényles (PCB), ou encore le pesticide chlordécone – utilisé dans les Antilles françaises jusque dans les années 1990.
Au total, plusieurs centaines de molécules de synthèse en circulation – dans les matériaux d’emballage, les pesticides, les cosmétiques et de nombreux produits d’usage courant – sont considérées comme perturbateurs endocriniens avérés ou suspectés.
L’ONG HEAL a confié à Julia Ferguson (Cranfield School of Management à Bedford, Royaume-Uni) et Alistair Hunt (université de Bath, Royaume-Uni) le soin d’évaluer le montant des frais de santé liés à cinq grandes catégories de troubles ou de maladies liés à des déséquilibres hormonaux : infertilité; malformations de l’appareil génital des petits garçons; cancers hormono-dépendants (testicule, prostate, sein); obésité et diabète; troubles autistiques et neuro-comportementaux des enfants. Selon les deux économistes, ces pathologies pèsent en France, au total, pour 82 milliards d’euros annuels dans les dépenses de santé (sur un total de 243 milliards d’euros).
« Immensément complexe de démêler les causes des maladies »
Sur cette somme, les auteurs ont tenté d’estimer la part attribuable à l’exposition des populations aux PE. « Les maladies que nous avons prises en compte sont multi-factorielles et il est immensément complexe de démêler les causes pour en sortir une en particulier », explique Julia Ferguson, coauteur du rapport.
Pour ce faire, les deux économistes ont utilisé une étude épidémiologique récente suggérant que 1,8 % des cas d’obésité infantile aux États-Unis étaient dus à une exposition au bisphénol A. Ils ont ensuite formé l’hypothèse, basse, que les quelque 1 000 substances analogues en circulation pouvaient, toutes ensembles, être responsables d’au plus 5 % des troubles hormonaux considérés – troubles dont le lien avec les PE a été montré sur l’animal ou l’homme. Mme Ferguson estime que les hypothèses retenues conduisent probablement à une « importante sous-estimation ».
« Un rapport conservateur et en dessous de la réalité »
Le rapport de HEAL n’a toutefois pas été publié dans une revue à comité de lecture. Mais ses conclusions sont cohérentes avec des travaux analogues publiés, eux, dans la littérature scientifique. Leonardo Trasande, professeur associé de pédiatrie et de santé environnementale à l’université de New York, a ainsi conduit une étude parue en février dans Health Affairs, estimant les coûts de santé annuels suscités aux États-Unis par un seul perturbateur endocrinien, le bisphénol A (BPA), en ne considérant que deux pathologies (obésité et troubles cardiovasculaires). Le résultat obtenu est de près de 3 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros) par an.
« Le rapport de HEAL est très conservateur et vraisemblablement en dessous de la réalité, commente M. Trasande qui n’a pas participé à sa rédaction. D’abord, il ne tient compte que des coûts de santé et non des autres coûts induits, comme l’absentéisme au travail, etc. Ensuite, plus la recherche avance, plus nous découvrons d’autres effets sanitaires liés aux perturbateurs endocriniens. »
Les chiffres de la France – pays le plus frappé au monde par les deux principaux cancers hormono-dépendants (sein et prostate) – apparaissent particulièrement mauvais.
Le rapport de HEAL a répété le même calcul pour les membres de l’Union européenne et seule l’Allemagne parvient à un résultat pire que la France, avec un surcoût de 5 milliards d’euros pour son système santé. Le Royaume-Uni talonne la France et arrive en troisième position.