C’est d’une drôle de manière que les chantiers de Saint-Nazaire ont appris que leur actionnaire principal, le groupe sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding, cherchait bien à les vendre. L’information leur a été apparemment communiquée… par leurs concurrents !
Ces derniers ont en effet reçu une plaquette de présentation de STX Finland et STX France destinée à séduire de potentiels repreneurs. Un document semble-t-il réalisé par le Crédit suisse, qui serait donc mandaté par les Sud-coréens pour trouver des investisseurs capables de racheter les chantiers européens de STX.
Le groupe, dont le contrôle a été pris l’an dernier par les banques sud-coréennes, emmenées par KDB, est en pleine restructuration. Pour éponger son énorme dette, il a entrepris de vendre un certain nombre d’actifs.
Si la volonté de cession de STX Finland était établie, ce chantier étant en difficulté, le doute planait jusqu’ici concernant Saint-Nazaire.
Dans le cadre d’une stratégie à long terme, il pouvait en effet être intéressant, pour STX, de conserver ce site, spécialisé sur des segments de marché à forte valeur ajoutée (navires à passagers et énergies marines notamment).
Mais le besoin d’argent est manifestement plus fort, d’autant que le constructeur français a significativement regarni en quelques semaines son carnet de commandes, avec trois nouveaux paquebots (un second Oasis de 227.000 GT et 2700 cabines, ainsi que deux nouvelles unités pour MSC de 168.000 GT et 2250 cabines, le projet MSC étant assorti d’une option pour deux navires supplémentaires).
Saint-Nazaire dispose désormais de cinq ans de visibilité sur son plan de charge, rien qu’avec les navires et commandes fermes (dont le montage financier est en cours de finalisation). La « mariée » est donc aujourd’hui beaucoup plus belle qu’elle ne l’était il y a quelques mois et STX peut donc espérer retirer de la vente de ses parts plusieurs centaines de millions d’euros.
Encore faut-il trouver un repreneur…
Néanmoins, si la volonté de vendre est désormais avérée, encore faut-il trouver un repreneur. Même avec un plan de charge assuré jusqu’en 2019, la navale demeure toujours une activité cyclique et très peu rentable. Car un chantier comme celui de Saint-Nazaire ne fait au mieux, les bonnes années, que quelques millions d’euros de bénéfices. Pas vraiment de quoi susciter l’engouement de repreneurs désireux de bénéficier rapidement d’un retour sur investissement. L’option d’une vente à acteur financier de type fonds d’investissement parait donc très peu probable. Pour ce qui est d’un candidat industriel, les pistes sont limitées.
En France, personne ne souhaite reprendre les chantiers nazairiens, à commencer par DCNS, dont l’actionnaire privé de référence, Thales (et derrière lui Dassault), s’est montré jusqu’ici farouchement opposé à tout rapprochement.
Du côté des autres grands constructeurs européens, l’Allemand Meyer Werft est déjà en discussion pour la reprise du STX Finland, dont le grand site de Turku lui permettrait d’augmenter ses capacités.
Quant au groupe public italien Fincantieri, qui doit être partiellement privatisé via une introduction en bourse prévue cet été, il souffre déjà de surcapacité et peine à remplir ses huit chantiers en Italie. On le voit donc mal racheter son concurrent français, sinon pour potentiellement tuer un rival.
Enfin, il demeure l’hypothèse d’un groupe extracommunautaire, par exemple asiatique, qui pourrait être intéressé, comme STX le fut avec la reprise d’Aker Yards en 2008, par l’opportunité de mettre le pied dans la navale européenne et, ainsi, avoir accès à des savoir-faire sur des navires très complexes.
Dans ce cas, ressurgirait une évidente menace de pillage technologique, qui a heureusement été évitée avec les Sud-coréens.
L’Etat devra donner son aval
Dans tous les cas, l’Etat aura son mot à dire. D’abord, parce qu’il possède 33.4% de STX France, ce qui lui donne une minorité de blocage face à STX Offshore & Shipbuilding via sa filiale STX Europe (qui possède 66.6% des chantiers nazairiens).
Mais surtout, STX France peut bénéficier d’un double parapluie étatique :
le fait que l’entreprise réalise des bâtiments militaires autorise le gouvernement à mettre son veto à toute reprise, au nom des intérêts du pays en matière de défense (d’autant que Saint-Nazaire est le dernier chantier tricolore à pouvoir construire de grandes plateformes militaires, comme des porte-hélicoptères ou porte-avions).
Le récent « décret Alstom » vient de plus parachever le dispositif en permettant à l’Etat de bloquer tout projet de cession d’une entreprise française dont les activités sont considérées comme stratégiques.
En attendant qu’un éventuel repreneur se manifeste, STX conservera sa participation dans le capital de l’entreprise, ce qui peut durer longtemps si l’actionnaire ne trouve pas de candidat ou ne reçoit pas de proposition considérée comme financièrement acceptable.
D’ici là, la situation demeure inchangée à Saint-Nazaire. Il n’y a aucune menace pour l’emploi et l’entreprise continuera de travailler normalement sur ses projets. Car la composition de son actionnariat n’a, à ce titre, aucun impact, surtout que l’implication des Sud-coréens dans la vie du chantier, depuis leur arrivée en 2008, a été des plus transparentes…