Danelle Myer, 42 ans, en rit encore : elle, l’adolescente qui voulait à tout prix quitter la ferme familiale pour devenir une businesswoman dans une grande ville, jongle désormais entre commandes de choux et dégâts causés par la grêle sur son lopin de terre.
Après une carrière dans les relations publiques, elle a fait le choix il y a trois ans de revenir à ses racines, à Logan, dans l’Iowa (centre), à une soixantaine de km au nord d’Omaha (Nebraska).
« Quand j’avais une vingtaine d’année, j’étais souvent malade et je me suis rendue compte que ce qu’on met dans notre corps est important », raconte-t-elle. Puis, « le déclic, ça a été la terre, celle que possède ma famille. C’est un immense privilège dont je dois faire quelque chose. »
Mais pas question de pratiquer la même agriculture conventionnelle que ses parents – maïs, soja et élevage de bovins.
Pour elle ce sera du maraîchage sur un petit bout de terrain en pente. « Sans pesticide ni OGM », insiste-t-elle, assise en tailleur dans l’herbe surplombant son champ, en débardeur rose rayé et tongs.
Au cœur du Midwest, le grenier céréalier des États-Unis symbole par excellence de l’agriculture productiviste, le parcours de Danelle Myer n’est pas si singulier.
L’agriculture en circuits courts explose, encouragée par un intérêt croissant des consommateurs pour des produits cultivés localement.
Les autorités américaines recensent quelque 8.100 marchés fermiers dans le pays, et 44% des écoles développent des relations avec les producteurs de leur zone. Le secteur représente 7 milliards de dollars.
Pour encourager cette tendance, l’administration Obama a lancé le 9 juin l’initiative « Local Food, Local Places » visant à apporter aux collectivités rurales l’expertise de spécialistes en agriculture, en transport, en environnement et en économie locale.
« Les changements sont tangibles et exaltants », constate Alice Topaloff, une jeune ingénieure agronome franco-américaine venue s’installer dans l’Iowa. « Le développement des circuits courts ici se fait de manière plus volontaire et plus spectaculaire qu’en France. Sûrement parce qu’on part de beaucoup plus loin avec des exploitations de milliers d’hectares et une culture alimentaire, de terroir, moins prononcée », explique-t-elle.
Crainte d’attaques terroristes
Le chemin reste néanmoins semé d’embûches. La première année, en 2010, Danelle Myer a vendu pour 2.200 dollars de légumes. L’objectif cette saison est d’en récolter pour 20.000 dollars. C’est encore insuffisant pour payer les factures. L’agricultrice conserve un travail de relations publiques à mi-temps.
« Pour gagner décemment sa vie, il faut posséder environ 800 hectares si on cultive du maïs et du soja. Il suffit d’environ 5 hectares quand on fait pousser des légumes », confie Craig Chase, économiste de l’Université de l’Iowa qui observe depuis les années 1980 l’essor d’une agriculture moins conventionnelle dans le pays.
La question du prix du terrain foncier, qui a flambé ces dernières années dans le Midwest, est d’ailleurs une des principales raisons selon lui pour lesquelles les jeunes s’installent sur de petites surfaces.
Pour les enfants d’agriculteurs ne pouvant pas diviser leur exploitation – sans quoi elle n’est plus viable -, pour les immigrants ou pour les militants de l’agriculture bio, qui souhaitent démarrer leur propre affaire, c’est trop onéreux. « A 25.000 dollars l’hectare, ça coûte moins cher à l’installation de se concentrer sur une production à faible volume mais à forte valeur ajoutée ».
L’attrait des consommateurs pour des produits plus sains, plus goûteux, joue aussi. Tout comme la sécurité alimentaire, mais d’une autre façon qu’en Europe. « Ici les gens ne sont pas spécialement préoccupés par les OGM. En revanche, comme l’industrie agro-alimentaire est concentrée entre les mains de trois ou quatre entreprises, les gens sont sensibles à l’idée qu’une attaque terroriste pourrait avoir un impact gigantesque », souligne Alice Topaloff.
En s’échinant à arracher les mauvaises herbes qui prolifèrent dans sa serre toute neuve, Danelle Myer assure qu’elle n’échangerait pour rien au monde les heures passées sur ses radis, ses patates douces et sa camomille, spécialement cultivée pour un herboriste d’Omaha.
Elle a l’air épuisée mais n’a aucune intention de baisser les bras. « Parce que je suis une femme, ou une enfant du coin, que je produis du bio, ou juste des légumes avec du goût, les gens me disent +persiste+ », se réjouit-elle d’un grand sourire.