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[extraits] Aider les migrants est considéré par certains individus, comme un passe-temps destiné à des bobos qui s’ennuient et cherchent à se donner bonne conscience.

Depuis bientôt neuf mois, j’ai découvert le monde des bénévoles, autant que celui des migrants. Un monde loin d’être celui où les « Bisounours » offrent de jolis petits sourires à de pauvres malheureux… Un monde fait de tensions, de douleur, de conflits, de difficultés, de désarroi, de lassitude, de colère, de tristesse, de rage, de doutes, de violence…

J’ai rencontré les bénévoles qui servent l’unique repas quotidien. Des bénévoles qui pour certains vivent cette situation depuis plus de 15 ans. Ils sont là, jour après jour à devoir gérer des centaines de personnes affamées, parfois même agressives. Oui, c’est vrai, parfois les migrants sont agressifs. Parce que quand on vit dans la rue, dans des conditions de survie indignes d’êtres humains, qu’on a froid, faim, peur d’être encore une fois chassé de l’endroit qu’on a trouvé pour dormir : on est sur les nerfs.

Est-ce que pour autant les bénévoles baissent les bras ? Non. Ils savent, ils comprennent. Qu’y gagnent-ils ? Rien. Car il y a encore et toujours des migrants qui arrivent, d’autres qui passent, et les bénévoles doivent faire face à cette réalité : des années que ça dure, et rien ne change… Honnêtement, je serais incapable de faire ce qu’ils font, jour après jour. Je les admire.

Quand il pleut la nuit, je me réveille en sursaut et j’ai une boule au ventre, les larmes aux yeux et je sais que dehors, il y a des personnes qui sont sous la pluie, et je ne peux rien y faire. Et même quand il m’est arrivé d’héberger des migrants, le fait de les savoir eux à l’abri ne m’enlevait pas ce poids : que faire pour les autres ? Comment ? Alors on dort peu, mal… Il m’est arrivé de rêver que j’achetais des bâches pour abriter des migrants…

Il arrive que les larmes montent toutes seules comme ça, en repensant aux expulsions… On garde en mémoire des visages, des sourires… des appels au secours aussi. On les a vécues en direct ces expulsions, on y était, on sait quelle violence physique et psychologique ça représente. Et on y va en sachant que peut-être, on sera gazé, on prendra des coups, ou on sera arrêté. Mais on y va. Parce que nous avons des convictions, parce que nous savons que dans ces moments là aussi, et surtout même, ils ont besoin de nous.

Il y a parmi nous des personnes prêtes à se mettre en danger pour ne pas abandonner les migrants à leur sort. Ces derniers mois, j’ai souvent reçu des appels, très tôt le matin, ou très tard dans la nuit, pour aider, secourir, accueillir… J’ai pris l’habitude de dormir avec mon téléphone à quelques centimètres de moi. Parfois, je ne peux rien faire… Je n’ai aucune solution. Alors je m’en veux, je suis en colère, et j’ai mal.

On croise des personnes migrantes qui deviennent des amis, des membres de la famille. Parce que c’est humain, des affinités se créent, des moments partagés heureux ou malheureux… Et là c’est encore pire. On ne laisse pas ses proches prendre des risques pour leur vie. On ne les laisse pas dehors sous la pluie. On ne les laisse pas avoir faim ou froid… Alors on fait ce qu’on peut. Mais ça casse, c’est difficile à gérer. Et pour continuer à se battre il faut rester objectif, il faut garder son sang froid, en étant dans l’affect, c’est encore plus dur, on ne supporte rien…

Si je n’avais pas réussi à me préserver un peu, je crois que je serais allée mettre le feu à la mairie ou j’aurais encouragé les gens à retourner la ville…

J’ai souvent entendu dire que les pro-migrants profitent de la situation, ils se donnent bonne conscience… Non, on n’a pas du tout bonne conscience… On se sent minable, inutile. On s’en veut de ne pas être capable de faire plus, de faire mieux.

Nous sommes nombreux à creuser notre découvert pour acheter des tentes, des sacs de couchage, des chaussettes, des gants, des bâches, de la nourriture, pour héberger… On se dit à chaque fois que ce n’est pas assez. Et à chaque fois on culpabilise, parce qu’on sait que ça ne fera que quelques heureux… Et les autres ?

Quand on est un « pro migrant », on est tout de suite soupçonné d’être militant politique d’extrême gauche, ou de gauche tout court. On nous accuse de faire de la politique… Alors que pour nous, le problème n’est pas politique il est humain.

(…) Oui, ça prend du temps, beaucoup de temps de venir en aide aux migrants. Parce que justement, ce n’est pas un boulot. On n’a pas d’horaires, on doit s’adapter. Alors nos enfants nous manquent, on loupe des repas de famille, on rentre chez soi fatigué et avec le moral dans les chaussettes…Et on culpabilise encore de ne pas pouvoir faire mieux, pour tous.

Non, ce n’est pas facile d’être ceux qui aident les migrants… Mais c’est tellement enrichissant humainement, c’est tellement de moments uniques, inoubliables. C’est une chance de rencontrer des personnes hors du commun, qu’il s‘agisse de migrants ou de bénévoles…

Mais il y a une chose surtout qui me semble importante : il n’y a pas en réalité les « bénévoles », les « pro migrants » ou les « migrants »… Il y a des individus, avec un vécu, une sensibilité, une conscience des autres.

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