Fdesouche

Pendant deux semaines, l’Etat islamique d’Irak et de la Syrie (ISIS) et les forces fidèles à Bachar al-Assad se sont affrontés pour le contrôle du gisement de gaz de Shaar, l’un des plus grand de Syrie, près de la ville historique de Palmyre. Le 19 Juillet, il a été signalé que le groupe militant sunnite avait tué 270 soldats du régime, prenant le contrôle du champ au cours d’un combat de 48 heures, un des plus meurtriers du conflit.

Par Karen Leigh

A mesure qu’ ISIS progresse en Syrie, les analystes affirment qu’une partie importante de ses ressources financières provient du pétrole brut qu’elle vend sur le marché noir; en conséquence, les champs de pétrole sont devenus un objectif prioritaire dans cette guerre. A l’image de gisements de gaz comme celui de Shaar, dont la perturbation des lignes provoque des pénuries et des coupures d’électricité dans les zones contrôlées par le régime, jusqu’à Damas.

Nous avons demandé à Robin Mills, un spécialiste de l’énergie basé à Dubaï et auteur de “Le mythe de la crise du pétrole», et à Theodore Karasik, directeur de recherche au think tank INEGMA basé à Dubaï, d’expliquer pourquoi les champs de pétrole sont devenus si importants pour ISIS et comment les transformer en champs de bataille pourrait perturber la production de l’énergie ainsi que les flux de trésorerie du groupe djihadiste.
Syria Deeply: Que s’est il passé au cours des deux dernières semaines?
Robin Mills: Les derniers combats se sont déroulés dans les environs de Shaar, un champ de gaz situé dans le proche ouest de Palmyre. Les rapports disent que le gouvernement l’a repris, mais ISIS affirme sur le terrain qu’il s’est retiré ou l’a détruit. C’était un gisement de gaz, et il n’y avait rien que ISIS aurait pu faire avec le gaz lui-même si ce n’est continuer à le vendre au gouvernement, [tout au long du conflit], ils auraient été en affaire avec le gouvernement Assad, pour lui vendre du pétrole et du gaz.
Theodore Karasik: Il aurait dû être évident pour le gouvernement syrien que les champs énergétiques allaient devenir une source de conflit en raison de leur valeur. Ces champs étaient probablement gardés, mais pas de manière suffisante pour résister à des groupes comme ISIS. Ils tentent d’établir un État et ces types de revenus sont importants pour la formation de l’Etat, car ils constituent une partie importante de leurs revenus. Ils peuvent prendre le contrôle de l’Est de la Syrie sans les revenus du pétrole, mais la saisie de ces types de champs [tel que Shaar] fait partie d’un plan permanent visant à développer leur propre système économique.
Syria Deeply: Quels revenus ISIS tire t’il du pétrole?
Karasik: Les responsables de l’industrie pétrolière irakienne disent que pour ISIS les revenus du pétrole représentent 1 million $ par jour en Irak et que si ils prennent le contrôle des champs syriens [dans les zones où ils avancent], le total cumulé serait de 100 millions de dollars par mois. Ils le vendent à 30 $ le baril, car il s’agit de marché noir. Ce n’est pas rattaché aux normes internationales pour les prix du pétrole, qui sont à plus de 100 dollars le baril. Le pétrole est acheté depuis la Syrie à travers la Turquie et il est vendu à des commerçants du marché noir qui sont présents dans tout le Levant.

Mills: Le chiffre de 1 million de dollars par jour provient des champs irakiens dont ils ont le contrôle. Ceux d’Irak et de Syrie pourraient atteindre 3 millions de dollars par jour, ils obtiennent donc encore davantage de pétrole de la Syrie [que de l’Irak]. La production atteint 10% de ses niveaux d’avant-guerre – ce sont des champs anciens et vieillissants qui nécessitent énormément d’interventions techniques spécifiques et qui font défaut, affectant fortement le niveau de production. Nous avons vu des rapports stipulant qu’ISIS contrôle la plupart des champs de pétrole de l’est de la Syrie et de Deir Ezzor, jusqu’au nord-est, où certains sont sous contrôle kurde.

Syria Deeply: Pourquoi ces champs anciens sont ils maintenant un objectif si important pour ISIS?
Mills: C’est une priorité très importante car elle génère des revenus. La stratégie de ISIS semble avoir évolué autour de la génération de revenus. ISIS se finance de plusieurs façons et le pétrole en est certainement une. Pendant longtemps, ils ont évité les confrontations directes avec le régime. Ils ont généralement tendance à pointer leurs armes vers d’autres groupes rebelles. Ils vendaient au régime, ou à quiconque payait pour ça. Mais, il semble qu’ils adoptent depuis peu une approche plus agressive, comme avec l’attaque sur Shaar. L’ont-ils seulement attaqué pour le détruire [pour frapper le régime], ou en prendre le contrôle et continuer à vendre du gaz? Leurs intentions n’apparaissent pas clairement.
Si ISIS a vraiment détruit les champs là-bas, cela signifie que l’approvisionnement en gaz [du régime] sera coupé. Il est déjà tombé à la moitié du niveau d’avant-guerre, et cela va provoquer plus de coupures d’électricité y compris à Damas. Cela signifie que le régime devra utiliser un carburant plus cher en provenance d’Iran. Cela signifie plus de souffrances pour les civils [], et sans doute l’affaiblissement des supports du régime. Et cela rend très difficile toute prospective quant à une reprise économique.
Karasik: Avant même le début de toute cette histoire, les exportations de pétrole de la Syrie ne constituaient pas une part importante de l’économie. Mais cela étant dit, tout ce que ces acteurs non étatiques peuvent saisir leur fournit une source de revenus. Et comme nous l’avons déjà vu, ISIS possède un régime d’exportation de pétrole illégal dont elle tire ses revenus. Il semble maintenant que [le pétrole syrien] soit à saisir et qu’ISIS ait entamé le combat pour s’en emparer. Il est probable que d’autres groupes tels que Al Nusra vont essayer de suivre.
L’État islamique étant établi, il est clair qu’ISIS souhaite désormais organiser au mieux l’ensemble de ses ressources gouvernementales et de ses recettes et que les exportations d’énergie font partie de ce système. Le projet du groupe comprend la collecte des impôts, mais aussi d’autres activités de marché noir comme le commerce des marchandises illégales provenant du pillage des terres conquises. Compte tenu de l’appel lancé par [le chef d’ISIS] Baghdadi le premier jour du Ramadan – appelant à la consolidation de l’État et au recrutement de personnes pour aider à sa gestion, vous devez comprendre que le secteur de l’énergie fait partie de son plan.
worldpolicy.org
 

Fdesouche sur les réseaux sociaux