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Philippe Martinez est chargé d’assistance aux plateformes pétrolières. La semaine dernière, au nord des côtes libyennes, il a secouru 4 embarcations de réfugiés à la dérive.
« Je suis marin depuis l’âge de 16 ans. Mais c’est la première fois qu’il m’arrive de participer à pareille aventure. Le navire que je commande, le Leonard Tide, appartient à une entreprise maritime internationale d’assistance aux travaux pétroliers offshore. Nous opérons au nord des côtes libyennes, pour le compte de la compagnie Total Libye Exploration et Production. Notre travail consiste à ravitailler la plateforme de forage semi-submersible « Zagreb 1 ». Celle-ci se trouve à 75 milles nautiques au nord-ouest de Tripoli, sur le passage des bateaux de migrants qui tentent de gagner Lampedusa, en Italie, à partir de la Libye.
Très haute et très éclairée, elle sert de point de repère à ces embarcations. Parfois, ils s’arrêtent pour nous demander la route !
Lundi après-midi, on a aperçu aux jumelles une première embarcation de migrants qui demandaient assistance en agitant les bras avec des chiffons. On s’est approché. Certains de mes officiers sont égyptiens et parlent arabe. Les réfugiés étaient perdus. Ils demandaient de l’eau, des vivres, de l’essence… Leur bateau était à la dérive. Entre 15 h et 20 h, on a secouru quatre embarcations de réfugiés entassés comme des sardines.
Des bateaux de 15 m en bois avec moteur à l’intérieur : 150 personnes sur le pont et autant en dessous, assises, qu’on a découvertes par la suite. Et de gros bateaux gonflables sans réel équipement pour les rigidifier. Au total 784 personnes : des Irakiens, des Syriens, des Somaliens, des Nigérians, des ressortissants du Bangladesh… Aucun n’avait de gilet de sauvetage.
Ils nous demandaient de les remorquer en Italie, ce qu’on ne pouvait faire. Le règlement international de sauvetage en mer indique qu’on doit les rapatrier vers le port le plus proche. Mais ils refusaient de rejoindre la Libye, menaçant de se jeter à la mer.
On ne pouvait, humainement, pas les laisser comme ça. Sans notion de navigation, ils se dirigeaient au soleil. Lampedusa, c’est un caillou dans l’eau ! Et de toute façon, ils n’avaient plus de vivres. Certains portaient des blessures récentes et infectées par balle ou arme blanche. On les a fait monter à bord. Au début, ils ne voulaient pas. Il a fallu leur promettre de ne pas les ramener en Libye. J’ai appelé un garde-côte italien qui s’y est engagé.
Pour les faire grimper, on a déroulé des filets en échelle de corde le long de la coque. Nous en sommes équipés car nous intervenons au besoin comme bateau-pompier. C’était un peu sportif. Une femme s’est retrouvée la moitié du corps à l’eau. Elle a été retenue par un homme d’équipage. Il y avait aussi des enfants. On est allé les chercher avec notre canot pneumatique semi-rigide. On n’a perdu personne. Des marins sont allés vérifier qu’il ne restait aucun réfugié dans les embarcations. Ils ont dû mettre des masques pour accéder aux cales des bateaux en bois, tellement l’odeur était insupportable. […] Certains m’ont confié avoir payé 1 000 à 3 000 dollars US par personne pour leur passage vers Lampedusa et avoir été abandonnés en mer par les pilotes libyens des embarcations. Après 30 miles en mer, le pilote aborde un bateau de pêche complice, faisant semblant d’avoir quelque chose à lui demander. Il monte à bord et laisse les réfugiés à leur sort. C’est un trafic très lucratif puisque l’argent versé par les migrants (150 000 à 200 000 dollars par voyage) compense largement la perte de l’embarcation (environ 15 000 dollars avec le moteur).
Vers 3 h du matin mardi, le garde-côte italien Diciotti a pris en charge les réfugiés. J’ai reçu l’assurance de son commandant qu’ils seraient bien traités et débarqués dans un port italien. Des bateaux de guerre italiens sont désormais sur zone pour faire face à d’éventuels autres sauvetages. […]

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Merci à evans

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