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Les zones rurales attirent de plus en plus de nouveaux résidents. Qui sont ces aventuriers? Rencontre avec ceux qui, à l’heure de la retraite, reviennent sur les lieux de leur enfance.

Au début, Danielle Baudin-Crouzet n’arrivait pas à dormir à Armand (Haute-Loire). Trop de silence. La rumeur de la ville l’avait bercée si longtemps, avant son installation dans ce hameau, qu’elle sursautait au moindre bruit, au plus petit craquement. Un cri d’oiseau, le soupir des forêts, une voiture qui passe, un rien. L’endroit, elle le connaissait pourtant comme sa poche.

C’est là qu’elle a grandi, dans la ferme de ses parents. Et de là qu’elle a marché, chaque matin, pour se rendre à l’école primaire du petit village de Trabesson, juste au-dessus.

Quand elle en est partie pour Lyon, avec son diplôme d’institutrice en poche, ce fut sans regret. « La vie était dure », se souvient cette jolie femme, née en 1947. A 1.000 mètres d’altitude, dans ce paysage de sapins noirs et de chemins tortueux, les hivers semblent longs avec un seul poêle pour chauffer toute la maison.
Mais quarante ans plus tard, Danielle et son mari Daniel n’ont fait ni une ni deux. Leur retraite, c’est à Armand qu’ils voulaient la passer: dans une commune où la dernière école a fermé en 1958, et à 14 kilomètres du commerce le plus proche.
Ils ne sont pas les seuls à faire ce genre de choix. Les retraités représentent une part importante des néoruraux qui changent progressivement le visage des campagnes françaises. Parmi eux, beaucoup de citadins qui reviennent au pays – les sociologues les appellent parfois les « réenracinés ».
Poussés loin du berceau par l’exode rural des années 1950 et 1960, ils cherchent à « retourner vers des espaces familiers ou similaires à l’environnement qu’ils ont quitté durant leur vie active », notent Denis Lepicier et Yannick Sencébé, auteurs en 2007 d’une étude sur les Migrations résidentielles de l’urbain vers le rural en France (EspacesTemps.net, Textuel).
Presque toujours, c’est une maison restée dans la famille qui les attire, autant qu’un paysage ou un mode de vie. Et qu’importe l’isolement, puisqu’ils sont plus nombreux que les autres catégories d’âge à choisir des espaces ruraux hors influence urbaine.
« Qu’est-ce qu’on aurait fait en plein centre de Lyon, dans un appartement, sans activité professionnelle ? », demande Daniel. Lui, est un vrai « gone », né dans la capitale des Gaules dont il a gardé l’accent, assorti d’une verve réjouissante. L’atterrissage à Armand a été raide. « Je n’avais pas de repères, raconte-t-il, je ne connaissais personne. »
Son écosystème, c’était la ville, où il avait monté une entreprise de plâtrerie-peinture spécialisée dans la rénovation de bâtiments anciens. Les bois, les champs, il aimait bien, mais d’assez loin, sans se douter qu’il deviendrait un jour le plus incroyable cueilleur de champignons du département.
Au fond, c’est le désir de Danielle qui a emporté le morceau, comme souvent dans les couples de réenracinés : celui ou celle qui a grandi en milieu rural veut revenir au lieu des origines. Même quand la ville ne leur a pas pesé, les enfants du pays finissent généralement par dire qu’ils ont toujours eu la campagne chevillée au cœur, presque à leur insu.
L’autre, le conjoint, a parfois tergiversé avant de franchir le pas. Monique Chevaleyre, par exemple, a suivi son mari Pierre à Valcivières, 220 habitants sur les hauteurs du Forez, dans le Puy-de-Dôme. Avant cela, ils avaient accompli la totalité de leur vie professionnelle à Vichy.
« Je n’étais pas sûre de m’habituer », se souvient cette ancienne kinésithérapeute qui exerce aujourd’hui son métier bénévolement, sur le modèle des rebouteux. Huit ans après, Monique n’éprouve pas l’ombre d’un regret.
Même conversion heureuse du côté de Mireille Vicard, ancienne adjointe au directeur régional de l’équipement à Bordeaux, qui a pourtant hésité lorsqu’il a été question de reprendre la maison de ses grands-parents, à Védrines-Saint-Loup. Sa famille venait de ce village du Cantal, mais Mireille n’y avait jamais vécu, sauf pendant les vacances. C’est Hubert, son mari, qui a poussé à la roue : il a passé sa jeunesse tout près de là, dans une ferme aujourd’hui vendue.
« A l’époque, on savait qu’il faudrait s’en aller, il n’y avait pas de place pour tout le monde, explique cet ancien directeur des achats d’EDF, qui sait encore parler en langue d’oc. Mais moi, je suis parti avec l’idée de revenir. Le pays me manquait, ses reliefs, mes frères et sœurs. »
Quand il a proposé de s’établir à Védrines-Saint-Loup, moins de 150 habitants, Mireille a pris son temps. « Il m’a laissée réfléchir pendant trois ou quatre ans, sourit-elle. Chaque fois, je me heurtais au problème de ce que nous laissions derrière nous, et des distances. » Un jour, elle a dit oui, mais à une condition: qu’ils disposent d’un pied-à-terre à Saint-Flour, pour les mois d’hiver. Une fois sur place, les nouveaux arrivants constatent souvent que beaucoup de choses ont changé. Les pratiques sociales, d’abord.
« Quand je suis revenu, j’ai vite vu qu’il n’y avait plus aucune coopération entre les agriculteurs, note Hubert Vicard. Nous, on fauchait et on moissonnait tous ensemble. » La vie collective manque un peu dans les zones rurales, même si les maires ou les cercles de chasseurs font leur possible pour maintenir des fêtes et des repas communaux.
L’autre sujet d’étonnement, c’est la culture automobile qui a envahi les campagnes. Dans l’enfance de ces retraités, on marchait à pied – ou on ne marchait pas du tout : à partir de la sixième, il fallait aller en pension, se souvient Danielle Baudin-Crouzet, et même si le collège n’était qu’à 25 km, chez les sœurs de Brioude, on ne revenait à la maison qu’aux vacances scolaires.
Aujourd’hui, chaque ferme a l’équivalent d’un petit parking dans sa cour. « La voiture est un marqueur social, observe Mireille. Les parents en donnent tout de suite une aux enfants. On nous demande avec surprise: vous n’en avez qu’une? »
Mais eux aussi, les réenracinés, ne sont plus les mêmes après plusieurs décennies passées loin du pays. D’abord, ils disposent de revenus supérieurs à la plupart des agriculteurs du coin. Chez les Baudin-Crouzet, la ferme familiale est devenue une maison cossue, vaste et bien chauffée, rien à voir avec les rigueurs dont se souvient Danielle.
Le couple a des loisirs, danse, tennis, et les moyens de se déplacer, en cas de pépin de santé ou simplement pour changer d’air, comme le font régulièrement la plupart des réenracinés. Dans la maison de Védrines-Saint-Loup, l’atelier de sabotier du grand-père s’est transformé en cuisine bien équipée, et le four à pain en élément de décoration. « On est à l’aise, on a une bonne retraite, du coup, on est considérés comme un peu prétentieux par les gens d’ici », analyse Mireille.
En réalité, leurs habitudes et leurs goûts mettent ces sexagénaires en porte à faux avec ceux qui n’ont jamais vécu ailleurs. Ils ne sont pas tout à fait des « touristes », autrement dit des néoruraux pur sucre, et pas (ou plus) vraiment des gens du coin. « Nous avons des mentalités un peu différentes, remarque Daniel Baudin. Moi, j’aime bien le décor, par exemple, c’est sans doute lié à mon métier. Je regarde ce qui est beau, les vieilles pierres, les formes. Ici, c’est la France profonde. Quand vous circulez dans les campagnes, vous voyez que les gens sont plutôt portés vers l’utilitaire. Ils ont parfois des maisons magnifiques qu’ils ne mettent pas du tout en valeur, enfin, surtout les plus anciens. »
Dans la plupart des cas, ces couples n’entretiennent avec les autochtones que des relations superficielles, voire conflictuelles, quand d’inextricables histoires de famille remontent à la surface. Du coup, ils se tournent volontiers vers les néoruraux, finalement plus proches d’eux.
S’il y a tout de même une chose pour laquelle le statut d’enfant du pays donne un avantage, c’est la présence sur les listes électorales. A croire que chaque réenraciné se trouve immédiatement enrôlé par le maire du coin, comme adjoint à quelque chose. C’est souvent le « revenant » qui est sollicité, mais il peut arriver que son conjoint le soit aussi, de manière exceptionnelle.
Monique Chevaleyre, par exemple, est devenue conseillère municipale de Valcivières aussitôt arrivée. Sans trop d’illusions: « ils avaient besoin d’une femme, pour la parité, dit-elle. Et je n’aurais eu aucune chance si mon mari n’était pas du coin, si je ne portais pas un nom typique d’ici. »
Là aussi, les écarts de mentalité se font sentir. Hubert Vicard est un homme énergique, ancien officier de réserve, habitué à servir la collectivité, mais pas à se laisser faire. Quand on lui a demandé de se présenter à la mairie de Védrines-Saint-Loup, il a aussitôt accepté. Puis, « bien élu », il a donné son temps sans compter, notamment pour mener à bien un projet de station d’épuration, s’occuper des 200 hectares de forêts publiques et mettre au point la numérotation des rues.
Au mandat suivant, patatras ! « J’ai reposé l’écharpe et les clés », dit-il sobrement. Battu. Un échec qu’il attribue, en partie, à ses prises de position jugées trop audacieuses. « On nous proposait un schéma de coopération intercommunale qui ne changeait rien. Ça m’a énervé. J’ai écrit, pas de réponse. Voyant cela, j’ai proposé au conseil municipal de voter contre, mais la majorité des conseillers ne voulaient pas, de peur de se faire remarquer… »
Façonnés par un monde urbain, mobile, où tout va plus vite qu’à la campagne, ces réenracinés veulent souvent du changement. Ils ont en commun d’être actifs, en bonne santé et plutôt entreprenants, ce qui accentue cette tendance. Sans compter que l’âge les rend plus « pressés de voir les choses déboucher », observe Mireille Vicard. En face d’eux, des paysages immuables et des archaïsmes qui les agacent, qui les étonnent. Mais enfin, pas de quoi les conduire à faire machine arrière.
D’autant que la médaille a des revers positifs, comme le souligne Monique Chevaleyre, en parlant du cirque de Valcivières, autour de chez elle : « Ce décor est époustouflant de beauté, habité, propice à la méditation. Et nous, les retraités, nous sommes aux prises avec le temps… » L’immobilisme a ses vertus, quand il ouvre une fenêtre sur l’éternité.

Le Monde

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