Pendant la guerre froide, la Yougoslavie a envoyé des milliers d’enseignants, de médecins, d’ingénieurs et d’autres professionnels travailler aux quatre coins de la planète. Aujourd’hui, c’est une exportation humaine d’un genre différent -celle de djihadistes et de mercenaires – qui rend célèbre certains des pays de l’ex-Yougoslavie. Et les chiffres semblent aller croissants, en dépit des mesures qui sont prises en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et en Serbie pour arrêter le trafic.
Par Dzenana Halimoci and Milos Teodorovic. (Traduction libre par FORTUNE).
Le 8 Août, Emrah Fojnica, un citoyen bosniaque de 23 ans, s’est fait exploser dans un attentat suicide en Irak lors d’une attaque opérée par l’État islamique (EI), anciennement connu sous le nom EIIL.
Quelques jours plus tard, 40 islamistes radicaux présumés ont été arrêtés par la police du Kosovo au cours d’un raid mené sur quelques 60 sites à travers le pays. Ces hommes sont accusés de s’être battus aux côtés des militants extrémistes en Syrie et en Irak.
Concernant le conflit dans l’est de l’Ukraine, les autorités serbes estiment que ce sont des dizaines de Serbes qui se battent dans chacun des deux camps.
“Il est difficile de dire combien ils sont exactement là-bas», explique Milorad Mijatovic, un député social-démocrate du parlement. “Il n’y en a pas qu’un peu. Ce sont probablement des dizaines d’individus qui se rendent dans ces zones de guerre.”
En Avril, un rapport publié par le Centre international sur l’étude du radicalisme (CIER) de Londres estimait qu’environ 6 % des combattants étrangers en Irak et en Syrie étaient originaires des Balkans. Le Kosovo évalue à environ 200 le nombre de ses citoyens qui sont allés au Moyen-Orient, dont 16 qui ont été tués là-bas.
Le Premier ministre serbe Aleksandar Vucic affirme qu’il y a “des dizaines de personnes [de Serbie] qui combattent du côté russe en Ukraine et des dizaines qui combattent du côté ukrainien. Il ajoute que “dans 99% des cas, ces Serbes sont des mercenaires qui se battent pour de l’argent”.
La Bosnie a déjà promulgué une loi criminalisant les activités mercenaires. Un projet de loi similaire a été adopté en première lecture par le parlement du Kosovo. Et les législateurs serbes ont proposé un texte identique. Cependant, les craintes que ces mesures ne montrent pas efficaces sont importantes.
Steven Vukojevic représente l’organisation serbe appelée “Mouvement tchetnik”, qui recrute des volontaires serbes pour combattre aux côtés des séparatistes en Ukraine. Interrogé pour savoir si une loi interdisant les mercenaires serait efficace, il dit: “le Mouvement tchetnik a des hommes en Russie, qui y vivent et y travaillent, de manière à ce qu’ils puissent se rendre en Ukraine directement depuis la Russie. Il ne leur est donc pas nécessaire de partir de Serbie pour rejoindre l’Ukraine”.
En Bosnie, la situation est plus alarmante. La plupart des combattants qui vont en Syrie et en Irak sont sous l’influence des extrémistes wahhabites. Dans le Nord, dans le village de Gornja Maoca, il y a une communauté secrète wahhabite qui a été en relation avec terrorisme dans le passé.
La réponse des autorités.
Mehmed Bradaric, député au parlement de Bosnie, a déjà été confronté à l’extrémisme islamique quand il était maire de Maglaj, une ville du nord, et que les Wahhabites ont pris le contrôle du village voisin de Bocinja.
“Alors qu’ils vivaient là, ils ont créé leurs propres règles», dit Bradaric.
“Pour nous, il était très difficile de vivre dans Maglaj. Nous étions privés de tous les événements normaux, comme la célébration du Nouvel An; Les gens ne le célébraient plus, ou bien le faisaient dans la peur.”
Pour Almir Dzuvo, directeur de l’Agence de renseignement et de sécurité (ARS), ces expériences posent la question de l’engagement des autorités dans la lutte contre l’extrémisme islamiste.
«Si vous saviez ce que je sais à propos de l’implication des structures gouvernementales dans ce domaine, depuis les plus bas niveaux jusqu’aux organisations criminelles, vous seriez aussi préoccupés que moi,” dit-il.
Emrah Fojnica, le Bosniaque qui s’est fait exploser en Irak la semaine dernière, était bien connue des autorités. Il avait été jugé pour avoir fourni l’une des armes utilisées par Mevlid Jasarevic quand il tira sur l’ambassade américaine de Sarajevo en Octobre 2011. Fojnica et Jasarevic vivaient tous deux dans la communauté wahhabite à Donja Maoca.
Fojnica avait été acquitté et avait promis de ne pas retourner à Donja Maoca. Au lieu de cela, il est devenu kamikaze en Irak.
Cependant, derrière la flambée du «tourisme de guerre», les sociologues des deux pays entrevoient des causes profondes.
«Nous sommes dans la situation paradoxale où il est plus logique pour un homme de 19 ou 20 ans d’aller à la guerre dans un pays lointain … qu’il ne sait même pas trouver sur une carte que de rester en Bosnie et de rechercher du sens ici”
dit Vlado Azinovic, un professeur de sciences politiques de Sarajevo qui était témoin expert au procès Jasarevic.
Vojislav Curcic, un spécialiste en psychiatrie à Belgrade, dit la même chose. «Chaque fois qu’une société est en crise – et la nôtre l’est – vous avez un terrain fertile pour l’extrémisme”, dit-il. “Beaucoup de citoyens sont mécontents et pensent que les positions et les actions extrémistes vont les faire se sentir mieux. C’est l’ensemble du climat social qui favorise le développement de l’extrémisme.”
L’agence de presse Deutsche Welle s’est récemment entretenue avec un groupe de mercenaires serbes du mouvement tchetnik qui se battent en Ukraine. Le leader du groupe, Bratislav Zivkovic, dit qu’il pense que le combat se terminera bientôt ici et qu’il prépare déjà des plans pour revenir en Serbie.
Et c’est ce qui rend inquiets les experts dans les Balkans.
«Quand [des mercenaires] rentrent, ils constituent un groupe de personnes susceptibles de représenter une réelle menace, et pas seulement pour la Serbie, mais pour toute la région », prévient l’analyste militaire serbe Bojan Dimitrijevic.